Quand on y pense, il y a de quoi pleurer.
Dans un pays que Platon aurait voulu gouverné par les philosophes rois, le peuple perd tout. Il n’aura bientôt même plus ses yeux pour pleurer. Certains n’ont déjà plus que le choix de leur mort. Les plus jeunes, ceux qui ont encore un avenir à défendre, hurlent à la vengeance. Ils sont prêts à lutter contre cette crise qu’ils n’ont pas méritée et encore moins voulue.
Et cette vague qui recouvre la Grèce lèche déjà les côtes de nos habitudes. À l’horizon de nos vies, l’avenir est plus flou encore qu’auparavant. Le monde tremble sous les coups de ces hommes que j’imagine si peu humains. Du genre à changer l’or en argent.
Même le ciel bleu n’est plus un refuge, puisqu’il cache quelque blessure faite par notre inconscience. Il pèse sur nous de toute sa légèreté. Souvent je l’ignore. Il se ternit quand j’y pense. Au loin, une couronne de pollution sacre et ceint Bruxelles. Tout le monde est touché. Ceux qui n’y sont pour rien peut-être plus que les autres.
Et puis, il y a partout des amis qui se déchirent, des amants qui se défont, des êtres qui s’en vont.
Pour ne pas y penser, il y a de quoi se leurrer.
Il y a cent moyens de se saouler. Pas besoin de tous les citer. Les moyens varient selon les envies. Chacun dispose de ses propres ivresses qui permettent d’oublier le quotidien sordide. S’enivrer permet de garder la tête hors de l’eau, de surnager, de survivre. Au final, il ne s’agit que de prendre suffisamment de distance avec le monde ; éviter de se faire absorber.
Les rares sobres découvrent la réalité dans tout ce qu’elle a d’absurde. Ils entrevoient la voie sur laquelle nous sommes engagés. Face à une telle révélation, il faut s’accrocher. On peut alors décider de s’en foutre ou de faire changer les choses. Quoi qu’il en soit, quand on décide d’une attitude face au monde, il vaut mieux ne pas vaciller. Le monde, c’est une force assez effroyable. Il faut avoir ou les deux pieds sur terre ou aucun, sinon on bascule et on se retrouve les autres fers en l’air.
Et malgré tout cela (et grâce à tout cela), on est heureux.
On ne fait pas exprès. C’est juste qu’on en a l’habitude. Parce que ça pourrait être pire et que ça ne l’est pas. Qu’après tout, la misère, elle est loin. Que si même la nuit il fait si clair, c’est que tout n’est pas si sombre qu’on le pense. La nouvelle lune est loin des esprits quand l’astre se montre en entier dans le ciel nuageux du mois d’avril.
Puis, on a beau dire, le monde, il n’est pas si terrible que ça : il y a tout autour de nous des gens qui nous aiment, qui nous font confiance, qui comptent. Tant que ceux-là ne sont pas en danger, on ne bouge pas. On conserve le bonheur en boîte, pour qu’il dure le plus longtemps possible.
Mais le bonheur, ce n’est pas un parfum rare ; c’est une plante. On ne peut pas le ranger dans un coin sombre en soi. Il faut le laisser se gorger de l’extérieur, qu’il s’endurcisse face aux rigueurs de la vie. Ce n’est que de cette façon qu’il devient suffisamment fort pour nous porter.