Collapsologie et nouveaux récits

Capture d’écran du film « Dans la brume » de Daniel Roby

Dans un article récent, Ploum parlait d’écologie, une fois n’est pas coutume. Il dénonçait dans ce billet l’écologie « hystérique » (terme à mon sens malheureux, mais soit) qui est devenue à la mode ces derniers mois, que ce soit à travers la collapsologie ou plus simplement les discours alarmistes de Greta Thunberg et consorts. Nous serions en train de créer une génération de « névrosés », selon Ploum.

La vraie question devrait être, à mon sens : d’où nous viennent ces névroses ? Et surtout, est-ce que cet état d’esprit nous empêche réellement d’agir ?

Le mot « collapsologie », que j’ignorais encore au début de cette année 2019 est désormais à la mode. Avec un papier publié en juillet dans Le Monde, trois membres de l’Institut Momentum établissent que l’effondrement de notre société est inévitable pour deux raisons :

  1. « l’immensité (c’est-à-dire l’imminence et l’ampleur) de la catastrophe « éco-anthropologique » est telle qu’elle excède nos capacités de compréhension, aussi bien de perception que d’imagination » : effectivement, les bouleversements climatiques sont extrêmement complexes à représenter, même à travers des modèles scientifiques précis. Impossible dès lors que notre cerveau puisse s’en saisir convenablement.
  2. « la psychologie sociale qui habite les humains ne leur permettra probablement pas de prendre les bonnes décisions au bon moment » : la dynamique de groupe chez les humains est telle qu’il existe une grande inertie dans nos comportements ; peu de chance dès lors que nous puissions inverser la tendance de plusieurs milliers d’années d’évolution sociale et technique dans les quelques années qu’il nous reste avant que les changements soient irréversibles.

À partir de ce constat, les auteurs explorent des pistes de réflexion qui permettraient de faire face à l’effondrement de notre société : permaculture et rejet de la société de consommation, lien social et local, ainsi que la fin du productivisme. Tout un programme, donc. Utopique, très certainement. Mais ce qui se dessine en filigrane, et qui me semble tout aussi important, c’est que ce changement passe également par l’écriture d’un nouveau récit commun. C’est cela à mon sens que fait Greta Thunberg ou d’autres en disant que « la maison est en feu » : ils créent un récit dans lequel notre modèle est radicalement remis en question. C’est une image forte qui marque et choque l’imaginaire. En ce sens, elle peut être salutaire.

Surtout que hurler n’empêche pas d’agir, pour le moment. Beaucoup des jeunes décident d’aller ramasser les détritus là où ils sont, de renoncer à l’avion quitte à payer leurs vacances plus chères, de manger moins de viandes, de trouver des boulots qui leur plaisent plutôt que des boulots qui paient. Et chacun de leurs efforts compte, qu’importe s’ils font des selfies, s’ils s’achètent le dernier smartphone à la mode ou vont au fastfood. Quand on écoute certains darons, il faudrait que les jeunes fassent tout en une fois, qu’ils deviennent des ascètes du jour au lendemain. Pourtant, ce sont ces ainés qui continuent de leur vendre des saloperies et des désirs toxiques, dans le but de faire du pognon.

Mais je comprends l’inquiétude de Ploum : que se passera-t-il si la panique cède à la réflexion ? N’y a-t-il pas un risque de se retrouver dans une situation qui nous amène à prendre des décisions inconsidérées ou même néfastes ? Risquons-nous de créer une génération de traumatisés de l’écologie, prête à se suicider pour sauver la planète ? Je crois que ce mal-être existe depuis une vingtaine d’années déjà. Une sorte de renouveau du mouvement punk, en fait. D’ailleurs, est-ce un hasard si Midnight Oil, groupe punk, chantait déjà dans les années 80 que nos lits brûlent ? Intrinsèquement, le mouvement punk possédait déjà une base de lutte écologique assez importante. Selon Ploum, pourtant, le message punk a eu un « effet positif quasiment nul ». Pourtant, j’aurais tendance à dire qu’aujourd’hui, ce message a été digéré et intégré. Les générations Y et Z ont, je pense, bien compris qu’ils vivront moins longtemps et moins bien que les générations précédentes. Ils ont assimilé qu’il existe d’autres modèles que celui que la société néolibérale propose. Il peut en résulter une certaine forme d’amertume, mais de ce que je vois, beaucoup parmi ces nouvelles générations choisissent d’agir pour essayer de changer la donne.

Malheureusement, en France comme en Belgique, la démographie nous montre que la jeunesse, si elle peut montrer l’exemple, ne pourra rien changer seule. Les baby-boomers et la génération X représentent deux-tiers de la population de nos pays. Qui plus est, ce sont elles qui ont les clés en main de l’avenir de nos pays. C’est donc sur eux qu’il faut faire pression pour changer les choses. Et si ça doit passer par une bonne dose de culpabilisation, c’est un maigre prix à payer pour obtenir une société plus juste.

Oui, notre génération a peur, mais c’est parce qu’il n’y a pas grand-chose à espérer de positif : les glaciers fondent, les mers sont remplies de plastiques et de métaux lourds (mais c’est pas grave, y a plus de poissons non plus), les barrières de corail disparaissent, notre société se sclérose de plus en plus. Les jeunes agissent déjà du mieux qu’ils peuvent, je l’ai dit. Et, parce qu’ils ont compris que ça n’est pas suffisant, ils mettent aussi la pression sur ces générations qui sont aux commandes, qui nous ont mis dans cette situation désastreuse et qui n’ont pas l’air de vouloir nous en sortir.

Nous, ces nouvelles générations, comprenons également que ce n’est pas en interdisant que l’on va trouver des solutions. Si jamais il en était besoin, on peut s’en convaincre en voyant comme le principe de réactance est illustré aux États-Unis d’Amérique, avec le rolling coal, qui existe en réaction à l’ « endémie écologiste ». D’autre part, nous avons bien vu que nous pouvions créer du changement sans passer par le cadre légal ou politique. Cette défiance envers les sphères décisionnelles est ce qui a mené à la découverte de solutions basées sur un noyau social plus restreint, mais dans lequel il est possible d’agir concrètement et de façon visible.

Nous avons compris que c’est en proposant des alternatives que l’on construira quelque chose de nouveau. En prenant tou-te-s nous vélos plutôt que des voitures et, ce faisant, en ralentissant naturellement la circulation, ils forcent de plus en plus d’automobilistes à reconsidérer leur moyen de déplacement en ville. En mangeant moins de viandes et en achetant local, ils obligent les industries à trouver des solutions.

En proposant un monde dans lequel on arrête la course à la croissance et, plutôt que de fuir en avant, on fait un pas de côté. Pas assez vendeur, comme idée. Pas de quoi en faire un film ? Pourtant, j’en connais des films qui racontent des histoires de ce genre. Ça s’appelle L’an 01, mon film de chevet. Et déjà, dedans, un personnage, symbole de l’ancien monde, réprimande les jeunes hippies :

– Vous voulez redevenir des culs-terreux comme il y a cent ans, quoi !
– Bon Dieu, on sait lire, on veut pas désapprendre ! C’est vachement simple. Tous ces trucs-là : le frigo, la télé, la machine à laver, on les a. On sait ce que c’est, on les garde, maintenant !

L’argument est récurrent, et j’ai été étonné de le retrouver chez Ploum. Selon lui, les discours alarmistes nous emmèneraient droit vers un nouveau Moyen âge. L’argument est fallacieux et réducteur : il nous est impossible de revenir au Moyen âge, même si nous le voulions. Les découvertes techniques sont faites, on ne peut plus revenir en arrière. Personne ne dit qu’il faut se passer de l’électricité, de la médecine, des techniques modernes d’agriculture, des cadres légaux, etc. Ce qui est possible, néanmoins, c’est de sortir de la logique qui a accompagné les découvertes technologiques de ces deux derniers siècles : le libre-échange, les marchés, la spéculation, etc.

Après tout, on produit aujourd’hui de quoi largement nourrir le monde entier. C’est la doctrine économique dominante qui fait que les produits sont mal répartis et que certains meurent de faim tandis que d’autres meurt de trop manger. Nous avons tous les biens nécessaires à notre confort, mais le marketing nous pousse à acheter du superflu. Nous disposons de quoi soigner tout le monde, mais certaines personnes voudraient que cela cesse – et nous faire revenir au… Moyen âge.

Il est peut-être encore possible d’éviter la fin du monde telle que nous le connaissons, mais ce sera hors du cadre politique traditionnel. Nos représentants politiques jouent en effet beaucoup sur les peurs, pour se faire élire, pour faire passer des lois, pour que nous consommions plus. Je trouve malhonnête de reprocher aux citoyens d’avoir peur quand tout les poussent à avoir peur. Notre société est anxiogène et on s’étonne que des réflexions irrationnelles se fraient un chemin dans les têtes ?

Il faut sortir de cette peur, c’est sûr. Cela ne sera possible qu’en agissant et en cherchant d’autres modèles. Et chaque action qui va dans le bon sens devrait être saluée, et non pas dénigrée. Cela suppose également de repenser nos schémas de pensée.

Après tout, on nous a appris qu’il faut gagner les guerres, pas les batailles. Mais si, pour changer, on se contentait de savourer chaque petite victoire et d’avancer sur le chemin de la transition ? Quitte à être névrosés, autant l’être pour que nos enfants ne le soient plus.

 

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