Lunaire Quindécan

Je lève les yeux et voilà la lune voilée. Elle m’apparaît à intervalle irrégulier. J’attends une apocalypse qui ne viendra pas. Je marche sans but, un peu ivre, un voile devant l’esprit. Je marche droit et vite. J’essaie de fuir le temps mais il me rattrape. Et ma servile cervelle se souvient. Je marche plus vite encore. Pour échapper à mes souvenirs. Et je me heurte au futur qui m’attend. Je m’arrête. Ne pas reculer, ne pas avancer. Rester là, sans bouger. Dormir. Mourir, un peu.

Les mots ne sont pas ces choses molles et informes que l’on croit. Les mots s’usent et changent. Ils vivent. Ils vivent, sans moi. La lune n’est pas que ce globe d’argent que j’ai déjà dit. J’ai murmuré tellement souvent « je t’aime » que je dois repenser la langue. Faire d’un poisson une dague. Repenser le monde. Je pense avoir fait le tour : il faut entrer dans le cercle. Parler autrement. Ne plus parler, peut-être. Se taire. Plonger dans un monde de nondits. Non, pas plonger. Glisser.

Parfois, sans que je sache pourquoi la mélancolie s’empare de moi. Comme une main noire qui serre mes pensées pour en extraire un jus amer. Toute joie déserte mon corps et je me sens seul en moi-même, comme si j’étais loin de moi. Je cherche du réconfort en dehors mais je n’en trouve pas. Je deviens quelque peu cynique, méprisant le genre humain. Puisque je ne peux plus avancer ni reculer, je me mets à creuser. Le sable du désespoir se glisse sous mes ongles, s’infiltre dans ma gorge, rendant chacune de mes paroles plus sèche. Mais enfin, je crois trouver une eau qui m’a attendu pendant des siècles. Je m’en abreuve et j’étanche ma soif, faisant de chaque goutte un nectar sans pareil. Je découvre au plus profond de ma détresse une oasis rafraîchissante. Je sais que la chaleur étouffante est toujours dedans moi, que bientôt j’aurai de nouveau soif. Mais ce petit rien suffit à me faire penser que tout n’est pas perdu. Oui, la mort et le néant rôdent partout. Mais je suis vivant et j’existe. À tout prendre, je crois qu’il vaut mieux en vivre.

Rien n’est perdu mais tout n’est pas trouvé. Il faut juste se donner la peine de chercher. La fin n’est pas une fin en soi. Il n’y a qu’un début. Il n’y a qu’une seule fin. Le reste, c’est du remplissage : être heureux. Se trouver des masques, faire des enfants, survivre à son corps, croire, penser, parler, pleurer, etsetra. C’est comme ça que l’homme fonctionne ; il est convaincu d’être l’unité de temps par excellence. Pour lui, il y a un avant et un après lui. Il est même des milliards de pendant lui. Il ne veut pas savoir qu’il n’est pas unique. Pourtant, c’est superbe d’être multiple. Il y a forcément une oreille qui correspond parfaitement aux paroles que l’on laisse vibrer. Quand je me retrouve seul dans ma tête, je me convainc que tous font le mal – et le bien aussi – par ignorance. C’est ça qui m’empêche de pleurer, et parfois me fait sourire.

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