Il était une fois
Cette
histoire se passe, comme toutes les histoires de ce genre, il y a
très longtemps et dans une région très éloignée de notre réalité
contemporaine. C’est comme ça : les histoires remplies de
merveilles ne se passent jamais chez nous ou dans notre temps. Il
faut toujours qu’elles soient éloignées de nous afin qu’elles
éveillent le moindre intérêt en nous. Et pourtant, cette histoire
est véridique, même si elle n’est sans doute pas vraie – encore
que nous pourrions débattre de cela. Elle est véridique car elle
correspond à la réalité vraie dans laquelle nous nous efforçons
de vivre. Et en cela, elle vaut sans doute mieux que tout ce que vous
pouvez lire au quotidien.
Mais
je m’égare.
Revenons
à cette histoire, dont les faits ne sont donc pas avérés et qui
pourtant contient sans doute une grande part de vérité.
Une
jeune femme vivait dans une forêt. Thalie – c’est son nom –
vivait là depuis qu’elle était pubère. À l’âge de ses
premières menstruations, ses parents avaient décidé de la
protéger. La protéger de quoi ? Personne ne le sait. Mais ils
avaient peur qu’une jeune fille pubère soit en danger dans leur
monde barbare où les hommes avaient le pouvoir de décider de la vie
des femmes. Comme je l’ai dit, cette histoire se passe en des temps
anciens et reculés. Pouvons-nous aujourd’hui imaginer que les
femmes vivent dans la peur de l’homme ?
Donc,
la forêt dans laquelle Thalie vivait était enchantée. Elle la
protégeait en faisant sombrer dans un sommeil profond toute personne
qui s’approchait de son cœur. Par un procédé magique, tous ceux
qui pénétraient dans le bois se réveillaient à l’extérieur,
sans se souvenir de comment ils étaient arrivés là. Sans l’avoir
jamais vue que de très loin, tous les habitants de la région
savaient qu’une belle jeune femme habitait dans ce bois
merveilleux. Bien sûr, ils ne connaissaient pas son véritable
prénom. Pour cette raison, ils l’appelaient la « belle au bois
dormant ».
Plus
les années passaient, moins les gens s’approchaient de la retraite
de Thalie. Sans personne pour entretenir les lisières de la forêt,
des ronces poussèrent et ceignirent la prison de la jeune femme de
murs épineux. Cette barrière végétale découragea les derniers
braves qui étaient tentés par l’aventure. Dans le meilleur des
cas, ces gars perdaient leur dignité. Mais il arrivait également
que de fiers princes, chevaliers ou même aventuriers moins nobles y
perdissent la vie. Les gens, qui ne savent jamais ce qu’ils disent,
finirent par raconter qu’un dragon et une méchante fée œuvraient
dans ces bois pleins de maléfices.
Ainsi, pendant des années, plus personne ne vint troubler la solitude de Thalie. Elle, par contre, continuait de se battre, n’acceptant pas sa détention. Tous les mois, lorsque la lune était nouvelle et que l’obscurité était complète, elle essayait de s’échapper, en pensant pouvoir tromper la vigilance sans faille du bois dormant. Toutes ses tentatives avaient été vaines. Elle restait prisonnière et passait le temps en s’imaginant loin de ses épais barreaux arbresques. Elle pleurait souvent, et gémissait parfois, lorsqu’elle était seule dans son lit, au cœur de sa maison. Elle pensait à celui qui viendrait un jour la délivrer. Elle l’imaginait, courageux, le corps griffé par les ronces, les vêtements en lambeaux, le torse luisant de sueur, les cheveux en désordre et le souffle court. Elle le voyait déjà, l’épée dégainée, pointant vers elle. Dans ses rêves de délivrance, elle pouvait presque le toucher, passer sa main délicate dans son cou à l’artère palpitante. Elle soupirait que celui-ci ne soit pas plus pressé de venir la rejoindre. Il n’y avait qu’elle pour entendre ses plaintes : la forêt était si dense qu’aucun son ne sortait des bois.
La première fois
Pendant des années, Thalie fut donc livrée à sa solitude peuplée
de fantaisies. Jusqu’au jour où un roi qui avait trop d’héritiers
entendit parler de cette femme pure mise à l’écart des hommes.
Personnellement, je ne peux attester de la pureté de Thalie. À
moins que l’on parte du principe qu’une jeune femme vierge est
pure. Mais… comment dire ? Dans le cas de notre captive, si son
corps était intact, je ne pourrais pas en dire autant de son esprit,
qui était déjà tout pénétré d’idées dont la pureté ne me
semble pas évidente. Mais après tout, ce n’était pas sa faute :
personne ne lui avait enseigné des principes religieux et
moralisateurs. Et je pense qu’elle ne s’en portait que mieux.
Mais
la question n’est pas de savoir si l’idée de pureté de ce roi
était fondée. Même si son entreprise reposait sur un stéréotype
assez désolant, personne ne prit la peine de le lui dire. Il décida
donc d’organiser un concours pour désigner son héritier. Celui
qui ramènerait la jeune princesse vierge du bois dormant hériterait
du royaume. Encore une fois, ne comptez pas sur moi pour me prononcer
sur la pertinence de la chose. Je ne fais que raconter cette
histoire. On peut supposer que c’est lié au système monarchique
et dynastique, qui porte en son sein un certain nombre de
contradictions. Le fait qu’un homme lègue tout un royaume à son
fils est suffisamment idiot pour que je me passe de commentaire.
Bref
: il avait des centaines de prétendants, que ce soit en ligne
directe, ou par un jeu étrange d’alliances, de mariages,
d’arrangements ou que sais-je encore. Dès que l’annonce fut
faite officiellement, on vit ces nombreux jeunes et valeureux hommes
partir à l’aventure. Bientôt, le bois, bien qu’il fut éloigné
du royaume, fut entouré d’une petite armée. Il y avait là des
nobliaux, des rejetons royaux, n’importe quel jeune homme vaguement
issu d’un quelconque gratin. Et bien que l’on disait que la jeune
femme qui vivait dans cette prison sylvestre était assez jolie, je
suis presque sûr qu’aucun d’entre eux ne venait pour s’emparer
des trésors de son sexe, même si certains disaient que cela ferait
un petit bonus agréable. En prononçant ces mots, ils riaient
grassement. Cela vous donne, je pense, une idée du niveau
intellectuel moyen de cette confrérie.
Pour
une raison qui m’est inconnue, il fut décidé conjointement que
tous entreraient en même temps dans la forêt dès l’aube. S’il
y eut une stratégie derrière ce mouvement hardi, elle ne m’apparait
pas clairement à l’esprit. Or donc, ils s’engagèrent tous
ensemble dans le sanctuaire. Le chemin fut long et difficile. Il y
avait toute sorte de pièges qui attendaient les aventuriers.
Beaucoup furent blessés par l’entrelac serré de ronces. La
plupart tombèrent endormis. Parmi ceux-ci, certains eurent plus de
chance que d’autres, se réveillant soit au pied d’un arbre soit
dans l’estomac d’un ours.
Une
dizaine d’hommes dans des armures étincelantes eurent le bonheur
de pouvoir compter sur leurs serviteurs qui se sacrifièrent de gré
ou de force pour permettre à leurs seigneurs et maitres de parvenir
à leur fin. J’aimerais pouvoir dire qu’ils atteignirent le saint
des saints grâce à leur courage ou leurs compétences
particulières, mais le mensonge est trop gros. Non, dans cette
société archaïque, l’argent faisait encore la valeur des hommes.
Quand je vous dis que ces temps étaient barbares ! Enfin, revenons à
ces quelques lauréats. Comme de bien entendu, ils s’entre-tuèrent
dans une clairière toute proche de la maison où vivait Thalie.
Celle-ci entendit la clameur des combats et, interrompant ses
ablutions matinales, elle courut vers l’origine de tant de bruits.
Quant elle parvint sur ce qui avait été le champ de bataille, elle
ne trouva qu’une dizaine de cadavres encore chaud et tout pleins
d’adrénaline.
Déçue
que tous ses prétendants soient morts, elle vérifia s’il n’y en
avait pas un qui était un peu moins mort que les autres. Hélas,
elle n’en trouva aucun qui put lui servir d’amant. Le seul
raidissement qu’elle observa fut celui des corps qui
refroidissaient. Elle quitta la scène, laissant les beaux corps aux
corbeaux. Déambulant dans son bois, elle entendit du mouvement tout
proche. Elle se mit à courir, arrachant des morceaux de sa robe au
passage. Elle atteignit l’endroit d’où provenait le bruissement
et vit un jeune homme étendu, son épée tombée au sol, en train de
se faire tirer par du lierre vers l’extérieur. Son sang ne fit
qu’un tour. Elle se saisit de l’épée et trancha les plantes qui
tentaient de lui soutirer son soupirant.
Elle
s’approcha du jeune homme. Il était endormi. Pressentant qu’en
restant sur place, le bois reviendrait à l’attaque, elle traina
son homme jusque chez elle. En y arrivant, elle se rendit compte que
son butin était tout contusionné et couvert de boue. Elle ôta donc
certaines pièces de son armure afin de le soigner et de le laver.
Encore une fois, je ne peux préjuger d’autres idées qu’elle eut
pu avoir en tête.
L’homme était jeune et bien portant. Si vous ne comprenez pas où je veux en venir, je vais préciser ma pensée. Lorsqu’il dort, l’homme peut connaître des phases durant lesquelles sa virilité ne fait aucun doute. Le phénomène est tout à fait normal, lié à la production de testostérone. Mais Thalie n’avait jamais eu l’occasion d’étudier les sciences. C’est sans doute pour cela qu’elle fut si troublée de voir la vitalité du jeune s’exprimer avec tant de ferveur. Ce qui se passa par la suite ne regarde qu’elle et le malheureux endormi. Encore qu’il obtint ce qu’il était venu chercher, même s’il n’eut pas le plaisir de s’en rendre compte. Tout au plus puis-je avouer que la jeune princesse put confronter ses fantasmes à la réalité et que son hôte lui procura un plaisir vibrant dont elle fut pleinement contente.
La fin du bois
Lorsqu’il se réveilla, il était devenu un prince, puisqu’il avait été le premier à pénétrer le bois et l’intimité de Thalie. Il se sentit étrangement fatigué, comme vidé. Mais à part cela, il allait bien. Il était hors de la forêt et en bonne santé. Sans savoir pourquoi, il se sentait heureux. Il avait perdu son épée, mais il s’en fichait. Il avait également perdu autre chose, mais ne le savait pas. Thalie lui avait pris sans le savoir quelque chose qui, à cette époque, avait encore beaucoup de valeur. Encore une fois, je ne suis pas là pour juger cette époque arriérée. Je ne fais que vous renseigner sur les croyances de ces sociétés, qui sacralisaient les premières relations sexuelles.
Sans
se rendre compte qu’il avait changé de statut, le jeune homme se mit
debout, les jambes en coton, et retrouva rapidement un groupe de
survivants. Ensemble, ils décidèrent d’établir un siège autour de
la prison imprenable, afin de réussir par des voies moins directes
là où la confrontation frontale n’avait, de toute évidence, pas
été un franc succès.
Dans
un premier temps, ils taillèrent les ronces qui offraient un premier
rempart à la forêt. Vu le manque d’entretien, cela leur prit
plusieurs semaines avant qu’ils fussent satisfaits du résultat. Ils
creusèrent également des tranchées, bâtirent des structures en
bois et firent encore bien d’autres choses inutiles enseignées dans
les livres militaires. À partir de ce moment, ils attendirent
patiemment que le fruit de leur travail mûrisse et leur tombe tout
prêt entre les mains. Régulièrement, ils voulaient décider de ce
qu’ils feraient lorsque la princesse serait débusquée. La
conversation se terminait généralement par la mort de celui qui
l’avait initiée et plus personne n’abordait le sujet pendant de
longues semaines.
Les
populations locales, quant à elles, appréciaient de moins en moins
la présence de ces soudards, nobliaux et autres engeances sur leurs
terres, lesquels passaient leur temps à boire et jouer. Ceci ne
posait pas vraiment de souci, mais quand ils en avaient marre de ces
deux occupations, ils descendaient dans les villages pour raquetter
la population. Pas étonnant que nos pays se soient débarrassés de
cette noblesse sans nom. La révolte grondait de plus en plus et la
populace se faisait jour après jour plus hostile. Le moral des
troupes était au plus bas et ils étaient sur le point de rentrer
chez eux la queue entre les jambes lorsqu’un événement improbable
se produisit.
Neuf
mois avaient passés depuis la première incursion des prétendants
au trône. Alors que les chevaliers désespéraient de jamais venir à
bout de ce bois maudit, ils furent surpris de voir, un beau matin, la
végétation s’ouvrir, dégageant un chemin venant du cœur de la
forêt et menant à leur campement principal. Les guetteurs,
c’est-à-dire ceux qui avaient perdu au jeu complexe de la politique,
vinrent prévenir les meneurs, ceux qui croyaient avoir gagné à ce
même jeu. Perplexes, tous attendirent un peu que le mystère
s’éclaircisse. Celui-ci s’épaissit, au contraire, lorsqu’ils virent
une belle jeune femme sortir du bois, un enfant nouveau-né dans les
bras.
Thalie
avança très-dignement jusqu’à la ligne de front, juste devant les
palissades. Elle était belle, mais pas autant que le disait la
légende. Elle avait par contre les yeux clairs et froids de celle
qui a vécu seule une vie difficile. Elle n’était pas blonde, mais
châtain clair, ce qui revient au même, lorsque l’on parle de
tradition orale. Enfin, elle n’était pas si fine et délicate que
les contes le prétendaient, mais cela s’expliquait par une grossesse
toute récente ainsi qu’une vie dans les bois, qui ne permet pas de
respecter l’étiquette d’aussi près qu’elle l’eut souhaité. Malgré
tout, elle restait très jolie, surtout pour ceux qui arrivaient à
l’imaginer baignée, peignée et bien habillée.
Personne
ne savait quoi dire devant cette apparition mystérieuse. Aussi
fut-ce la jeune femme qui prit la parole.
─
Je me nomme Thalie et suis la princesse qui était détenue
prisonnière dans ce bois enchanté. Aujourd’hui, sa mission de
protection n’a plus de raison d’être, puisque ce que mes parents
craignaient s’est réalisé : quelqu’un parmi vous est parvenu
jusqu’à moi. Je ne connais pas son nom, il ne me l’a pas donné.
Il m’a donné par contre autre chose et je viens aujourd’hui
rembourser ma dette.
Se
disant, elle défit le linge dans lequel était emmailloté le bébé
et le montra à la foule curieuse. Elle révéla un nourrisson à la
tignasse d’un roux éclatant et aux yeux d’un bleu profond. Cela
facilita l’identification du père, qui ne faisait pas partie de la
crème de l’élite du camp, mais que l’on trouva tout de même.
Thalie le reconnut et ils purent enfin apprendre à mieux se
connaitre. Il était le nouvel héritier et prit donc les commandes
du camp que l’on démonta. Il passa son temps à apprivoiser la
jeune femme qui, quant à elle, découvrait le monde dont elle avait
été tenue éloignée si longtemps.
Enfin, ils quittèrent cette contrée reculée et s’en allèrent rejoindre le vieux roi qui attendait qu’on lui présente son héritier avant d’avoir l’obligeance de laisser la place aux jeunes.
L’ogre-roi
Les parents se mirent en route, accompagné de la troupe de ceux qui n’avaient pas réussi l’épreuve qui les mèneraient sur le trône. Le voyage ne dura pas longtemps. En tout cas, c’est ce qui sembla à Thalie et au prince. Non pas qu’ils vivaient sur un nuage, perdus dans un amour inconditionnel et déconnectés du monde. Non. Ils avaient les deux pieds sur terre, un bébé entre les bras. Et le temps ne passe jamais aussi vite qu’auprès le cœur d’un nouveau-né qui bat comme un métronome affolé. Entre les nuits sans sommeil, les angoisses naturelles et tous ces tracas qui rendent la vie de parents si dure, ils arrivèrent à destination sans même s’en rendre compte. Ils n’avaient même pas encore pris le temps de nommer le nouveau-né.
Au
cœur du royaume, à la capitale, ils rencontrèrent d’abord la
reine, une femme douce. Elle dégageait une aura, un charisme presque
palpable. Elle n’était plus toute jeune, sans être encore
vieille. Et de toute façon, cela ne change rien au fait qu’elle
était une femme intelligente, cultivée et agréable à écouter.
Tout le contraire de son mari, le roi, dont tout le monde se
demandait comment il avait fait pour arriver sur le trône, avant de
se rappeler que la charge était héréditaire et que leur roi ne
devait d’être là que parce qu’il avait gagné à la loterie
génétique. Ce ne fut d’ailleurs pas lui qui accueillit le prince
héritier. Il était parti à la chasse. Ou à la guerre. Enfin, une
de ces mâles et saines activités impliquant du fer et du sang.
La
reine fut une hôtesse parfaite. Elle montra à Thalie et son homme
la suite princière. Elle appela les couturiers, les coiffeurs et
tous les autres métiers pouvant être utiles à donner une apparence
plus noble à la jeune mère. La magie dans la forêt devait être
puissante (ou peut-être quelques fées s’étaient penchées sur
son berceau), car il ne fallut pas beaucoup de travail pour rendre
tout son éclat à la beauté cachée de la princesse. Même en ayant
partagé le style de vie des bûcherons et des paysans, elle avait
préservé une harmonie dans ses traits qui fut vitement soulignée
par la diligence de ses nouveaux serviteurs.
Le
lendemain soir, elle fut présentée à la cour, accompagnée de
celui qui allait devenir son mari. On annonça officiellement le nom
de l’enfant qui s’appelait donc Nuit, pour la bonne raison qu’il
vivait et se faisait entendre surtout lorsque le soleil était
couché. Malgré leurs cernes, ils étaient magnifiques, couverts
d’ors et d’argents. Ils avaient peu dormi, à cause du nouveau-né
dont ils voulaient s’occuper eux-mêmes, malgré qu’ils aient des
serviteurs et nourrices pour cela. Ils étaient resplendissant. Et
même si le roi était absent, on avait l’impression que la royauté
était déjà revenue, en s’incarnant dans la peau du jeune couple.
La reine les menait de groupes en groupes, les présentant à tout le
monde, leur lançant aux oreilles des noms, des titres, des
anecdotes, toute information qu’ils auraient oubliée le lendemain,
si pas dans une poignée de minutes. Comme si cela ne suffisait pas,
il leur fallut ouvrir le bal. Thalie ne savait pas danser la valse,
aussi ce fut son prince qui mena la danse. Les ivresses se
mélangèrent : celle des alcools à bulle, celle de la danse, celle
de la fatigue, celle de l’amour. Lorsqu’ils purent enfin rentrer
en leurs appartements, ils remercièrent le jeune homme qui s’était
occupé de garder le jeune Nuit et tombèrent endormis jusqu’à ce
que l’enfant ne les réveille, au petit matin.
Les
jours passèrent ainsi en se ressemblant. Le retour du roi vint
mettre un terme à ces jours heureux. Il avait versé suffisamment de
sang à son goût et revenait en son royaume, content de lui. Dès
que l’annonce fut faite, l’humeur de la reine changea. Elle qui
était d’habitude si joyeuse se renferma et sombra dans une
douloureuse mélancolie. Thalie ne la reconnaissait pas. Elle ne
comprenait pas ce qui arrivait à cette femme si brillante qu’elle
était en temps normal un soleil pour toutes celles et ceux qui
vivaient en en sa présence. Les jours qui avaient suivi l’annonce
du revenir de son mari, son humeur était devenue maussade. Et cela
empira à mesure que la date fatidique approchait.
Enfin,
le roi revint. Personne n’avait rien dit à Thalie et son prince
sur la personnalité du roi. Certainement pour qu’ils puissent
savourer les délicates subtilités de la psyché de cet homme d’âge
mûr. Il était tout le contraire de la reine : rustaud, bourru et
ignorant de bien des sujets. Il avait également des mœurs
violentes, frappant ses serviteurs dès que l’occasion s’offrait
à lui.
Quand
on lui présenta Thalie, il l’ignora, préférant s’adresser
directement au prince. La jeune femme comprit à cette occasion
qu’aux yeux du roi, elle n’était que des organes reproducteurs
emballés dans de la chair humaine. Elle n’en était alors pas
sure. Jusqu’à présent, elle avait simplement considéré que le
roi avait une préférence naturelle pour celui avec qui il avait un
lien familial. Mais au fur et à mesure des rencontres et des
discussions, elle finit par ranger le roi dans la catégorie « vieux
con ».
Qui
plus est, il ne semblait pas vouloir abdiquer afin de laisser le
trône à plus jeune que lui. Il était accroché au pouvoir de
toutes ses forces finissantes. Les mois et les années passèrent.
Thalie donna naissance à deux filles qui fit leur bonheur et que
leur grand-père ignora royalement. Pis encore : il venait parasiter
leur éducation en instillant dans leurs jeunes têtes des idées
d’un autre temps. Selon lui, une femme valait moins qu’un homme
et devait obéissance au « sexe fort ».
Thalie
comprit que le roi n’était pas seulement vieux et idiot, mais
aussi dangereux. Elle réalisa pourquoi la reine portait toujours des
vêtements qui la couvrait entièrement et pourquoi sa suite n’était
composée que d’hommes exclusivement.
Un
jour qu’ils étaient tous partis à la chasse, le roi repéra une
troupes de lions. Par fierté sans doute, il décida de quitter le
camp avec son sénéchal et quelques hommes de confiance. La reine,
le prince et Thalie restèrent en retrait, ce qui leur permit
d’assister depuis des loges de choix au massacre du roi et de sa
suite par quelques lionnes en colère.
Il eut droit à une cérémonie d’enterrement sobre. Personne ne le regretta et, très vite, il fut oublié. Thalie devint reine de ce royaume et consacra toute son énergie au développement de la démocratie et dans l’éducation, mettant un point d’honneur à inclure les femmes de tout le royaume dans ce processus moderne, avec l’aide enthousiaste de la reine-mère.
Et
ainsi, tous vécurent bien plus heureux.
Il était une fois Cette histoire se passe, comme toutes les histoires de ce genre, il y a très longtemps et dans une région très éloignée de notre réalité contemporaine....