Solstice

Le jour se lève mollement sur la ville déjà réveillée. Il coule dans les rues de la cité où se presse déjà une foule fourmillante d’enfants coincés dans des carapaces d’adultes, en beaux habits de travail. Ils pensent faire tourner le monde. Le monde, lui, s’en balance. Il tourne et tournera toujours, même lorsque, en un battement d’ère, tous auront disparu. Et c’est dans l’indifférence mutuelle des hères humains et du monde que la lumière froide pleut sur la ville.

Dans un parc perdu, un homme est assis sur un banc, immobile au milieu des grappes mouvantes de travailleurs. Lui, il a regardé le soleil se lever entre deux tours de verre, par-delà la ligne hachée de l’horizon. Il a fixé l’astre perçant dans la brume du matin. Par la seule force de son regard, la sphère incandescente s’est dressée dans le ciel. Elle est sortie de la nuit pour tout éclairer. De sa chaleur, elle a fait fondre la fine pellicule de givre qu’avait écrite la nuit. Une nouvelle page se tourne à mesure que le jour avance.

Entre l’orbe pâle et la paire d’yeux, un lien se crée, qui lie l’un à l’autre, comme un câble invisible et pourtant incroyablement solide. Ainsi tirée, le navire de lumière glisse dans l’azur. L’homme n’est pas le seul à l’appeler à lui. D’autres font le même travail, le tractant également à eux. Il en va de même dans d’autres villes, dans d’autres régions, dans d’autres pays. Plus à l’Ouest, déjà des volontés se réveillent et scrutent la ligne d’horizon et attirent de leurs vœux le soleil hiémal.

Et à force d’attraper la lueur de leurs regards, ils la tirent vers eux et la font aller plus haut dans le ciel et la font rester plus longtemps dans les cieux. Le soleil est comme ralenti par la puissance de ces esprits héliotropes.

Et plus il ralentit, ce soleil, plus les regards se tournent vers lui. Et ainsi, par effet boule de neige, le soleil réchauffe le cœur de l’hiver et apporte de nouveau une lumière bienvenue sur nos têtes.

L’hiver commence et, déjà, il termine. Les jours s’étirent et sortent de leur torpeur. Le solstice est plein des promesses du printemps.

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Dans les yeux du soleil

CC-BY-SA Petar Milošević

A woman’s eye – CC-BY-SA Petar Milošević

Dans la fraîche chaleur du printemps, Bruxelles frissonne. Ses rues frémissent dans la brise avrillée. Les chemises se décollettent, révélant des vallées que l’hiver avait oubliées. Les robes longues et légères aux allures estivales claquent au vent. Tous les corps se tournent vers le soleil, cherchant à se gorger de lumière. Dehors, les gens se parent de couleurs vives, sans doute afin d’amener plus vite à eux le mois de juillet, qui est encore si loin d’eux.

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Agrumes

Le jeune Álamo ressemblait à bien d’autres jeunes de son âge. À vingt-cinq ans, il avait un diplôme universitaire et était au chômage. Il ne s’en faisait pas pour autant. Il avait l’insouciance – d’aucuns disent le cynisme – de sa génération. Il savait que les beaux jours étaient partis et ne reviendraient plus, que le plein emploi était un Éden dans lequel avaient vécu ses parents, mais dont seul le souvenir existait encore. Que le temps des cerises était passé. Mais de tout cela, il s’en foutait.
Il savait que le travail n’était que du temps transformé en argent par quelque procédé alchimique dont il ne comprenait pas toutes les subtilités. Mais ce qu’il savait, c’est que, de temps, il n’en manquait pas. Il avait tout le temps du monde et s’efforçait de le dépenser avec parcimonie.
Il passait donc ses journées à marcher dans les rues de sa ville, attendant de tomber sur des connaissances pour boire le maté avec eux. Parfois, il discutait d’ami en ami sur n’importe quel sujet. Parfois, il lézardait au soleil. Parfois, il s’arrêtait au milieu de nulle part pour savourer le goût des secondes qui défilaient face à lui. Il les comptait sur ses doigts en silence avant de repartir vadrouiller d’un pas égal.
Mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était d’aller se promener dans les parcs, dans les bois ou dans les forêts juste avant les pluies chaudes d’été. Quand il sentait en lui qu’une averse se préparait, il partait à la recherche d’un arbre au feuillage dru qui lui pourrait lui servir d’abri. Il écoutait les premières gouttes de pluie tomber au sol. Il fermait les yeux et humait l’air se gorger d’eau. Il goûtait ce plaisir délicat avec délectation. Souvent, il s’assoupissait, bercé par toutes ces sensations, heureux comme avec une femme. Lire la suite

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Supplique printanière

Oh ! je t’en supplie, n’oublie pas de rire !
Je sais que ce n’est pas toujours facile et que le monde ne s’y prête guère. Parfois, c’est bien normal, on aurait envie de baisser les armes. Je sais toutes les horreurs de la Terre. On voudrait se laisser aller aux larmes. On voudrait laisser la tristesse envahir notre âme, qu’elle nous inonde et éteigne toute flamme. Heureusement, il survit toujours une étincelle. Lire la suite

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Fireworks

Il y a de ces crépitements dans l’air. Ce sont comme des décharges qui se font entendre à intervalles irréguliers. L’émotion est palpable. Des étincelles dans la bouche. C’est cette même sensation que lorsqu’un orage approche, étendant ses ombres et sa colère sur les terres frémissantes. Pourtant, aussi loin que porte le regard, on ne voit pas le moindre nuage. Il n’y a que les étoiles qui brillent de cet éclat froid d’automne. La lune n’est pas encore levée. Ou déjà couchée. Elle n’existe plus. Elle n’est nulle part. Seule la Nuit est, constellée de points de lumière. De l’autre côté de l’estuaire, une chape de brume couvre l’horizon. On ne fait que distinguer les villes d’en face éclairées qu’elles sont par les lumières artificielles, blanches et rouges.
Le froid a tout recouvert. Dans la lande, le bruissement des bruyères a quelque chose de gelé. Le chemin semble halluciné, comme un rêve à chaque fois renouvelé et pourtant toujours identique. Des vapeurs glissent mollement sur le sol avant de s’élever dans les airs. Les souffles humains s’exhalent en volutes grisées. Le froid alourdit les sons. Pourtant, chaque voix est comme un poignard zébrant le silence glacé. Lire la suite

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Lunaire Doviginte

La bille bleue et blanche dans le ciel a disparu. Il n’y a plus que le soleil. Le soleil et moi. Le soleil, le silence et moi. Et moi, je suis perdu dans le silence, ébloui par le soleil. Je ne bouge plus. Je reste immobile. Je ne fais qu’écouter. Sans but. Écouter le silence de mes pensées. Leur morsure est plus froide que celle du soleil. Leur venin mortel comme la vie. Ma tête résonne de ce fracas intérieur, perdu dans le silence. Déjà, il n’y a plus que moi. Je suis seul dans l’univers. La lumière du soleil tombe droit sur moi. Elle vibre un peu, dans le silence. Et moi, je pourrais presque la toucher, comme je me suis déjà saisi du silence. Il glisse entre mes doigts. Je le laisse tomber à terre et ruisseler. Il cascade doucement et remplit les mers fossiles. Il se gonfle au soleil et m’enveloppe tout entier. Je me couche à terre et je le laisse me recouvrir. Je connais cette douce brûlure du sommeil. Il ne vient jamais me chercher, ne fait que me tourner autour. Pourtant, j’aimerais l’inviter : « Viens donc, toi qui tiens dans le creux de ta main tous les hommes, qu’ils soient riches ou pauvres, faibles ou forts, vieux ou jeunes. » mais je sais qu’il ne m’écouterait pas. Il sera celui qui régnera lorsque tout aura disparu. C’est un prince orgueilleux et patient.
Je m’arrache de son emprise, je quitte son empire. Je dois m’éloigner du silence. Je dois m’exiler loin du soleil. Je dois retrouver mon identité qui se trouve au-delà de tout ce que je connais. Disparaître dans les tréfonds de mes pensées. Devenir immobile comme les roches qui forment le paysage. Ne plus bouger. Se plonger dans un perpétuel présent. Ne plus vivre ni mourir. Juste exister. Je sais que cela m’est encore impossible. Alors, je rampe jusqu’à la pénombre. Je m’enfonce dans l’obscurité salvatrice. Je rejoins l’autre face, celle où plus rien ne me touche. Seule existe encore l’immensité de l’espace. Couché au sol, je la contemple sans ciller. Le monde vacille. Je suis le seul à encore exister, dans le vacarme de mes pensées. Je me noie dans des réflexions ininterrompues. C’est ici que se trouvent ces mers qui se rejoignent mais ne se mélangent pas.

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Sonnet des amours

Une alchimie complexe est à l’œuvre en moi-même.
Je sens que mon âme se serre par à-coups,
Devenant carillon qui sonne de grands coups.
En un mot comme en cent, je peux le dire : j’aime.

On a déjà tout dit sur ce sujet connu.
Je ne parlerai pas de ces amours banales
Qui gonflent les livres de trames anormales.
Moi, je leur préfère les sentiments diffus.

Ceux-là qui explosent sans faire de bruits,
Ceux qui un jour naissent, mûrissent comme un fruit
Et ne meurent jamais, renaissant sur leurs croix.

Mon amour est ainsi : un soleil impossible
Dont les rayons touchent des dizaines de cibles.
La plus proche a chaud, les autres n’ont pas froid.

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