Retraite OKLM #20

De la réflexion à l’action, le pas peut être difficile.

 

Hier, j’ai publié sur mon site une longue réflexion portant sur la grève des loyers, et plus largement sur le droit au logement et la propriété lucrative. J’en ai également profité pour envoyer un mail à mon propriétaire, l’informant de ma situation financière, afin de conformer mes actes à ma parole. La rédaction du courriel n’avait pas pris beaucoup de temps, mais j’ai tout de même hésité une demi-journée avant de l’envoyer.
Se retrouver dans une situation où l’on demande l’aumône à quelqu’un, c’est se retrouver immédiatement dans une position désagréable. Je me rappelle ainsi que je dépends de la bonne volonté de quelqu’un pour disposer de quatre murs entre lesquels me réfugier. Jamais agréable.

Quoi qu’il en soit, j’ai fini par passer par-dessus ces messages intériorisés issus d’une société en déliquescence et j’ai appuyé sur la touche « envoyer ». La réponse est venue plus tard et a apporté une bonne nouvelle : mon propriétaire accepte mes revendications. C’est pour moi, une première victoire.

 

Mais au-delà de cela, un podcast que mon frère m’a partagé me permet d’intégrer quelque chose dont j’avais déjà l’intuition : « Pour ceux d’entre nous qui ne peuvent pas monter au front — et ce sera la plupart d’entre nous — notre travail consistera à créer une culture qui encouragera et promouvra une organisation politique, et une résistance tenace. » Elle fait écho à toute une série de phrase qui résonnent constamment en moi, chaque jour avec plus d’intensité. Si j’avais des poutres apparentes dans ma mansardes, j’en ferais des sentences. Que ce soit les mots d’Arthur dans la série Kaamelott : « J’ai raté, mais je veux pas qu’on dise que j’ai rien foutu, parce que c’est pas vrai. » Ou Amanda Fucking Palmer et quelques mots jetés à son public : « It doesn’t matter if it’s good. It just matters that I made something. » (« L’important n’est pas que ce soit bon. L’important est simplement que j’ai fait quelque chose. »)

 

Plus le temps passe, plus ce confinement devient un jeûne de capitalisme. Il faut espérer que lorsque nous sortirons, nous serons suffisamment nombreux à en être sevrés. À ce moment-là, nous sortirons dans la rue, pour la prendre et ne jamais la rendre, sous aucun prétexte.

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Réflexion sur la Grève des Loyers

On en parle peu en Belgique, mais depuis le début de la crise, une revendication s’est fait entendre dans un certain nombre de pays : la grève des loyers. Le mouvement a, semble-t-il, débuté aux États-Unis, où les loyers sont déjà une charge importantes pour les ménages. Aujourd’hui, le mouvement se propage également en France et en Espagne. De quoi s’agit-il exactement ?

Avant toute chose, et en préambule, je rappelle que je ne suis pas économiste, ni politologue, ni expert dans le moindre domaine que ce soit. Je suis un citoyen lambda un brin politisé qui aime se renseigner sur plein de sujets. Cette précaution oratoire pour rappeler que ce que je dis est sujet à caution et que je vous enjoins à vous renseigner vous-mêmes sur ce sujet, si vous avez le temps.

Je précise également qu’a priori, je fais une distinction entre ce que Bernard Friot nomme la « propriété d’usage » (le fait de vivre dans le logement que l’on possède) et la « propriété lucrative » (tirer un bénéfice de ce logement). Et c’est plus particulièrement le deuxième type de propriété qui est dénoncé lors de la grève des loyers. En effet, celle-ci pose de nombreux problèmes, puisqu’elle est à la base de spéculations immobilières et qu’elle empêche pour beaucoup de gens d’avoir un accès décent au logement, droit garanti par la constitution belge (dans son article 23).

Si l’on s’attarde sur la situation que nous vivons actuellement, nous notons que l’ensemble du pays tourne au ralenti. Pour le moment, plus d’un million de travailleurs se retrouvent au chômage technique (ou temporaire). Et ce chiffre ne prend certainement pas en compte l’ensemble des personnes touchées financièrement par le confinement. Cette crise, si elle nous touche tous et toutes, ne nous touche pas de la même façon. Ce n’est pas étonnant, mais ce sont les plus démunis et les plus précaires qui seront les plus durement frappés. Ceux qui, en tant normal, sont exclus de la solidarité, le sont encore plus en temps de crise.

Malgré tout, on remarque que de nombreuses initiatives voient le jour un peu partout, au niveau local essentiellement. En Wallonie et à Bruxelles, les expulsions des logements sont suspendues le temps du confinement. Mais dans l’ensemble, il n’y pas de règle claire et définitive concernant les loyers. Il y a quelques jours, le syndicat des propriétaires et copropriétaires disait considérer que la question des loyers « doit s’analyser au cas par cas ». Un peu plus loin, le communiqué précise qu’« il ne sera pas perdu de vue que pour les bailleurs, les loyers constituent des revenus – parfois utiles au paiement de charges et d’investissements – et ces derniers doivent également être préservés. » Et c’est justement la question des investissements qui doit à mon sens être dénoncée en cette période de solidarité.

Il faut considérer la situation de Bruxelles pour bien saisir la mesure du problème. Il existe une étude menée en 2007 par Julie Charles sur le sujet. Je n’ai malheureusement pas pu la consulter, puisque elle n’existe apparemment que sous format papier. Néanmoins, un certain nombre de sources en font mention, dont le numéro 31 de la revue art. 23. C’est là que j’ai pu trouver le graphique suivant, dans lequel on note la répartition des propriétaires en fonction du nombre de logements qu’il possède. Et si 50 % des propriétaires ne possèdent qu’un seul logement à Bruxelles, ils ne représentent à eux tous que 20 % du parc immobilier, tandis que 50 % de ce même parc est détenu par 20 % des propriétaires. Il y a un peu plus de dix ans, 60 % de la population de Bruxelles était locataire. C’est deux fois plus que pour le reste du pays. Et il semblerait que la tendance aille vers les investisseurs immobiliers, selon cet article plus récent du journal Le Soir.

Source : http://www.rbdh-bbrow.be/IMG/pdf/article23_31_leger.pdf

Mais quel rapport avec la grève des loyers ?

Dans le cadre du confinement, toute une série de mesure ont été prises auprès des entreprises pour éviter au maximum les faillites causées par la cessation brutale d’activité. Sans entrer dans le détail, il y a des aides proposées par l’État, par les banques, etc. Par contre, en ce qui concerne les particuliers, aucune mesure globale n’a été prise pour le moment. Pourtant, s’il existe un impact sur les entreprises, celui-ci se répercute forcément sur les particuliers qui font tourner ces entreprises.

Or, la meilleure façon d’alerter l’opinion publique sur une situation, c’est la mobilisation. D’autre part, la grève permet de faire bloc contre l’ensemble des propriétaires qui, apparemment, ne comptent pas renoncer à leurs investissements malgré la situation que nous vivons et qui nécessite que tout le monde participe à l’effort.

Plus globalement, ma réflexion s’est également portée sur la propriété lucrative. Ce qui m’a choqué durant mes recherches sur le sujet, c’est cette notion d’« investissement » que l’on peut relever dans le communiqué du syndicat des propriétaires et copropriétaires. C’est également un argument qu’on m’a beaucoup opposé lors d’une discussion sur le sujet : outre les gros investisseurs, beaucoup de propriétaires comptent sur le revenu que leur procure leur bien immobilier pour rembourser leur emprunt et, à terme, s’assurer une retraite décente.

Ce qui apparaît pour beaucoup comme normal suscite chez moi tout un tas d’interrogations. Ces loyers, ce n’est pas de l’« argent magique », pour paraphraser Emmanuel Macron. Ces loyers, ils n’existent que parce que les locataires travaillent et gagnent de l’argent, dont une partie sert donc à payer leur droit à un logement. Tout le monde ne sera pas d’accord avec moi sur ce point, j’en suis conscient, mais c’est à mon sens la preuve qu’il y a un problème, si des retraités doivent compter sur le loyer qui leur est payé pour continuer à vivre. C’est-à-dire que ce qui est supposé être le rôle de l’État (et par son entremise, de la collectivité) a échoué, à savoir : assurer à ces propriétaires-là les moyens d’une subsistance décente sans devoir recourir à l’aide d’autres individus. Les locataires, dans cette situation, assurent le rôle de l’État.

Je considère que l’accès au logement, tout comme l’accès à l’eau, à l’électricité ou aux communications, devrait être considéré comme un service public. Je me rends compte que les politiques globales ne vont pas dans ce sens. La doctrine néolibérale postule exactement l’inverse : tout ceci peut faire l’objet de spéculation et servir les intérêts d’entreprises.

Pour terminer, j’en viens véritablement à la grève des loyers. Une solution proposée par le syndicat des propriétaires et copropriétaires est de voir « au cas par cas ». C’est ce que le gouvernement préconise également. Le problème majeur vient du fait qu’il faut s’en remettre aux propriétaires pour juger les situations individuelles des locataires en difficulté. C’est pour moi, une position intenable, dans la mesure où l’intérêt des propriétaires se trouve à l’opposé de celui des locataires. On ne peut pas se permettre de faire confiance aux propriétaires pour faire passer leur argent avant le bien-être d’une partie de la population.

C’est en cela qu’une action globale est nécessaire. Ce n’est qu’en se réunissant, qu’il sera possible de faire bloc et défendre les intérêts des plus fragiles.

Bien sûr, chacun est libre de mener cette action comme il l’entend. Il est possible de prendre contact avec son propriétaire et lui expliquer que, sans revenu, à cause de cette crise sanitaire, il est tout simplement impossible de payer tout ou partie du loyer. De nombreux propriétaires sauront faire preuve de solidarité en ces temps difficiles. Mais si jamais on se heurte à la logique froidement économique d’une entreprise, il faudra alors entrer dans un rapport de force, par le blocage général, seule façon de gagner ce combat.

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Retraite OKLM #18

Hier, je suis sorti de ma bulle. Qu’on ne se méprenne pas : je suis resté confiné comme tous les jours depuis 18 jours déjà. Malgré tout, j’ai eu l’occasion de prendre l’air (et surtout la température) d’environnements qui m’étaient inconnus.
Plein de naïveté et de candeurs, j’ai eu envie de parler des grèves des loyers qui s’organisent beaucoup aux États-Unis d’Amérique et un peu en France. Le principe est que face aux problèmes financiers d’une partie de la population en situation précaire, il faut agir. Dans de nombreux pays, les banques ont fait savoir qu’elles gèleraient les remboursements de prêts pour les entreprises. Mais jusqu’à présent, rien n’est prévu pour les particuliers mis en difficulté financière par le confinement. Apparemment, il s’agit de régler ces problèmes au cas par cas. Le problème, on le sait, est qu’un individu ne peut rien face à une entreprise, à moins de se rassembler et de faire bloc. D’où l’idée d’une grève des loyers.
Je trouvais la démarche pertinente, surtout après avoir parcouru rapidement un thread sur la propriété immobilière lucrative, que je ne retrouve malheureusement pas pour l’heure. J’ai choisi pour cela un groupe Facebook d’entraide en temps de coronavirus, comptant quelques milliers de membres. Après un léger temps d’attente, les administrateurs du groupe on validé mon sujet. Et là, sans le savoir, je suis entré dans l’arène. De toute évidence, je n’étais pas préparé à la virulence des réactions.
Je reviendrai plus tard sur mes conclusions au sujet de la grève des loyers, mais j’avais surtout envie d’analyser quelque peu ce que j’ai pu vivre hier.
Les trois premiers messages étaient des insultes. Ils ont vite été supprimés par les administrateurs du groupe. Par la suite, j’ai fait face à un feu nourri de réactions pour la plupart violentes à l’idée que l’on puisse agir de la sorte. La plupart des intervenants pensaient surtout à une connaissance qui est pensionnée, retraitée, isolée ou autre et pour qui ce loyer qui tombe tous les mois est nécessaire à la survie. C’est oublier qu’à Bruxelles, si 50 % des propriétaires ne le sont que pour un seul logement, un peu moins de 20 % des propriétaires possèdent 50 % des logements de la ville. Après quelques fouilles, j’ai trouvé la source : un travail de Julie Charles de 2007 pour l’Institut d’encouragement de la Recherche Scientifique et de l’Innovation de Bruxelles.
Mais bref, je réserve ça pour un autre article, sans doute un peu plus complet sur la grève des loyers et une approche sans doute un brin anticapitaliste, désolé.
Bref, au final, j’aurai eu plus d’une soixantaine de commentaires à ma discussion, en deux heures. Des réactions souvent véhémentes, pour tout dire, avec beaucoup d’injonctions et de violences. Et même si cette violence a parfois été dure à gérer, j’ai tenté un maximum de répondre à toutes les interventions pertinentes. Ce fut une sorte de shitstorm, mais qui m’a permis finalement de réfléchir sur le sujet, comme si je l’avais transformé en un gigantesque brainstorming.
Ce qui m’a frappé, c’est que tant de personnes se reposent sur leur expérience toute personnelle pour se faire un avis sur le monde. Si je voulais faire une grève des loyers, c’était pour m’en prendre à des gens qu’ils connaissaient et qui avaient besoin de cet argent pour payer leur nourriture. Si je voulais faire cette grève, c’était pour voler mon propriétaire sous couvert de solidarité. Si je voulais faire cette grève, c’est parce que j’étais un salaud, un être immoral, etc. Ce sont, je suppose, les images que ceux qui m’ont répondu avaient en tête. Est-ce que mes réponses ont pu les faire réfléchir sur la façon dont ils construisaient leur raisonnement ? Je n’en sais rien. Et peut-être qu’au fond, c’est moi qui me trompe.

Pour le reste, la vie va. Elle va toujours aussi lentement, comme si les rayons du soleil de printemps n’arrivaient pas à réchauffer la vie dans nos rues engourdies par l’absence de mouvement. Pourtant, je sens bien qu’il y a quelque chose de chaud qui gronde quelque part. Ce grondement, je l’entends quand le silence se fait autour de moi.
Donnez-lui une occasion de sortir et vous verrez le geyser que nous en ferons.

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Retraite OKLM #16

Qui étaient-ils, ces gens qui faisaient de la politique ?

On se posera cette question dans pas si longtemps. Moi, j’ai toujours parlé de « représentants » ou d’« élus ». Mais je sais que d’autres diront « dirigeants », « gouvernants » ou « élites ». Les mots ont un poids et reflètent des réalités différentes. Si l’on voit les hommes politiques comme « ceux qui gouvernent », nous nous retrouvons dans une situation où, lors des élections, nous choisissons nos maitres. Et en un sens, cela est vrai. Inutile de le rappeler : le représentant politique « moyen » est un homme blanc hétéro de plus de 50 ans. Et si nous avons entamé en Belgique un changement dans ces habitudes de vote, celui-ci ne va pas assez vite.

Puisqu’Albert Camus est à la mode, je me permets une citation décontextualisée venue de ses carnets : « La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. » Et puisqu’il est ici admis que nos représentants sont issus de la majorité (oserais-je dire « dominante ») de notre société, peut-on au moins dire qu’ils se préoccupent de protéger les minorités qu’ils dominent ? La réponse ne surprendra pas grand monde : non. Mais ce n’est même pas cela le plus grand souci. Le souci, c’est que tellement de gens ne s’en émeuvent pas. J’en connais, des révoltés, des gens qui considèrent que cette situation a trop duré et qu’elle ne le peut plus désormais.

Et pourtant, les faits sont là : à défaut de voter pour les minorités, nous pourrions voter pour des hommes blancs hétéros dédiant leurs vies à protéger les femmes, les racisés, les queers, les marginaux, les riens de Macron. Mais même ça, nous ne le faisons pas.

Lorsque nous nous poserons la question de savoir qui étaient ces gens qui faisaient de la politiques, nous nous demanderons ce qui a pu échouer à ce point pour que le système dans lequel nous vivions n’empêche pas les injustices. Nous nous demanderons également comment nous pouvions baigner dans cette injustice sans pleurer tous les matins. Et nous nous demanderons pourquoi nous n’avons pas mis à bas ce système plus tôt qui n’était rien d’autre qu’une aristocratie moderne, avec ses dynasties, ses fastes et tout ce qui définissait l’ancien régime. Si certains les appellent « élites », c’est que la classe politique est désormais une classe à part. Ils ont des privilèges liés à leur fonction. Certains font même « carrière » dans la politique, en vue d’avoir une situation. La classe politique est une classe qui est devenue déconnectée. C’est bien le principal reproche qu’on leur fait.

La question est aujourd’hui de savoir si cette classe politique arrivera à se réformer assez vite ou s’il faudra en passer par la révolte violente pour faire bouger les choses, pour rendre cette démocratie plus représentative. Pour se passer de maitres, qui sait ?

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Retraite OKLM #15

C’est comme si la pression du confinement servait de révélateur pour tout ce qui ne fonctionne pas autour de nous. En demandant à tout le monde de rester chez soi, on oublie qu’il y a une partie de la population plus importante qu’on ne le pensait pour qui « chez soi » n’est pas un concept si évident. On oublie que pour que certains puissent rester chez eux, d’autres doivent en sortir et risquer leur vie. On oublie que certains sont oubliés des aides de l’État qui pourraient les aider à sortir de chez eux. On fait un tri sommaire parmi tout le monde et on se rend compte qu’il y en a, des laissés-pour-compte.
On n’avait jusqu’à présent rien prévu pour eux parce qu’ils se débrouillaient dans les marges. Mais le confinement a supprimé les marges, il ne reste aucun endroit pour se cacher. En Italie, certains sont acculés et ont commencé à réagir, violemment. Le gouvernement italien leur débloque des fonds, sans avoir le choix. Que pourrait-il faire ? Enfermer les pauvres ? Devant ses propres contradictions, il choisit la solution pragmatique. Si certains n’ont pas d’argent pour payer leurs courses, on va leur en donner gratuitement, même s’ils n’ont pas cotisé.
Avec un peu de chances, nos représentants profiteront de cette crise pour avoir un sursaut de clairvoyance. Ils se rendront compte qu’un cataplasme de billets ou qu’une infusion de pièces ne soignent pas plus qu’une perfusion bancaire. Que culpabiliser la population qu’ils méprisent ne les sauvera pas et qu’il faudra à un moment oublier les profits pour faire preuve de solidarité.
Ce sera ça, ou la révolte.

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Retraite OKLM #14

Comment organiser un début de résistance ? Comment continuer à défendre ses valeurs lorsque la seule façon d’atteindre le monde passe par un écran d’ordinateur ? Bien sûr, les écrans pourraient être autant de supports pour ma littérature subversive et engagée. En peu de temps, mes écrits seraient diffusés et deviendraient paroles d’évangile. Le seul problème est que je ne nourris pas ce genre de vocation messianique.

Mes textes ne sont qu’autant de bouteilles à la mer, jetées sans espoir particulier qu’ils touchent des gens. Je n’écris pas dans ce but. Avant tout, ces chroniques sont l’occasion de continuer de discuter (avec moi-même : démesure de l’égo) et d’entrainer mon écriture. Si d’autres peuvent y voir une fenêtre sur moi, tant mieux pour eux.

Quels autres façons de militer et de faire changer le monde ai-je, alors ? La diffusion de l’information sur les réseaux sociaux ? J’en fréquente quelques-uns. Celui de Zuckerberg aurait pu être parfait pour cela, mais il est dominé par des logiques profondément incompatibles avec mon modèle de pensée. L’information y est une monnaie dont la valeur est avant tout marchande. Pour sortir du cercle restreint de ceux qui partagent mon avis, il faut lutter contre toute la machinerie du monstre. Avec le risque qu’en luttant contre ses entrailles, on s’y fasse digérer.

Le souci majeur vient du fait que le seul modèle de réussite que j’ai en tête corresponde à celui de la société à laquelle je m’oppose. Il est difficile de penser le succès en d’autres termes que ceux de la célébrité, une certaine forme de star system. Je suis convaincu que nous ne changerons pas la société avec ses méthodes. Il faudrait bien du courage et de l’ingéniosité pour réussir à retourner ses armes contre elle.

La réponse se trouve autre part, mais je ne l’ai pas encore trouvée. Depuis quelques jours, j’améliore les applaudissements quotidiens en y ajoutant une dimension politique : je parle avec les voisins (que je découvre pour les premières fois, pour certains), je profite du beau mur blanc d’en face pour diffuser des messages qui viennent préciser le sens de la démarche (c’est-à-dire : militante). Peut-être que d’autres idées me viendront dans les prochains jours. Après tout, comme c’est parti, il y a des chances qu’on reste confinés jusqu’à la fin du mois d’avril…

Ça laisse le temps de penser à d’autres formes de résistance et d’action politique.

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Retraite OKLM #12

Nous arrivons au terme de cette deuxième semaine de confinement et il se murmure partout que nous resterons entre nos murs quelques temps de plus que ce qui était initialement prévu. Petit à petit, j’arrive à réduire le flux d’actualité. Après une phase de boulimie durant laquelle je voulais tout savoir pour être mieux préparé, j’en arrive à un point où je ne lis plus les infos que de façon intermittente.
Cela me laisse plus de temps pour lire des textes plus denses. Page par page, même si je me suis déshabitué, ces dernières années à ce genre de lecture. Aujourd’hui, je « consomme » de la littérature. Des articles de presse, beaucoup. Pas besoin de mâcher : quelqu’un s’en est déjà chargé à ma place. Je me retrouve dès lors avec une pensée simplifiée, facile à digérer. C’est comme si j’avais intégré que l’effort doit être minime, pour que l’assimilation soit efficace. C’est une façon de voir les choses, avec un regard tourné vers la quantité plutôt que la qualité.
Simplification de la littérature, et donc simplification de la pensée. Je n’en suis pas là, mais qui sait ? Ma peur est qu’avec ce mode de lecture, je me retrouve avec un raisonnement binaire : d’accord ou non. Enfermé dans ma bulle de perception, me nourrissant de lectures sans valeur et m’étiolant petit à petit.
Ces considérations sont liées à ma classe, certainement. J’ai le bagage culturel et intellectuel pour me lancer dans des lectures « savantes ». Même si je bute sur des textes de Michel Foucault, je parviens tout de même à tirer du sens de ce que je lis. Cela, je le dois à un tas de choses qui me sont externes. Il y a dans toute mon éducation une certaine estime de la littérature, de façon générale. Il ne faut pas que j’oublie qu’il s’agit d’un privilège. En faisant une brève recherche, j’apprends que 70 % des ouvriers et des agriculteurs n’ont lu aucun livre durant l’année 2012. Cela ne veut pas dire qu’ils ne lisent rien. Ils lisaient de la presse il y a dix ans. Ils lisent sans doute des articles en ligne aujourd’hui.
Dans le monde dans lequel nous vivons, la littérature n’a plus l’impact qu’elle avait autrefois. Elle passe derrière bien d’autres médias en tant qu’art ainsi qu’en tant que vecteur d’information (en ce compris l’idéologie politique). En un siècle, la littérature a perdu ses lettres de noblesse et est devenu un bien de consommation. C’est tant mieux, ceci dit : il y a deux cents ans, je n’aurais sans doute pas eu accès à cet outil d’émancipation. Pourtant, à l’heure où il n’a jamais été si simple d’écrire et de diffuser ce que l’on écrit, je me mets à espérer que nous ferons autre chose de ce moyen d’expression.
Quel est l’avenir de la lecture ? Notre société de consommation ne nous donne plus le temps de nous plonger dans des œuvres complexes, difficiles à lire, demandant de la réflexion et des outils de pensée pour être comprises. D’un autre côté, on voit bien les effets pervers de cette littérature prémâchée : elle ne permet pas des raisonnements nuancés. Et on s’étonne que les thèses complotistes fleurissent partout.
Je n’ai pas de conclusion à ma pensée. Je pose simplement ce constat : en plus de nous priver de beaucoup de nos libertés, notre société nous enlève également des outils de pensée essentiels pour nous élever et mieux comprendre le monde qui nous entoure. C’est dans son intérêt : il faudrait faire des travailleurs des machines. Mais c’est oublier que les êtres humains sont des machines imparfaites. Il est plus que probable que cette machine aux engrenages plein de biais finisse par se gripper.

Comment ? C’est ce que nous verrons, peut-être plus tôt qu’on ne le croit.

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