Ballade sous la pluie

Ce fut un déluge. Des trombes d’eau tombaient
Comme si le soleil s’était noyé au ciel.
Les longues avenues changeaient toutes d’aspect,
Changées en cascades. Cette pluie torrentielle
Frappait de tout son poids la ville de Bruxelles.
Et partout les passants s’enfuyaient sous les gouttes
Qui martelaient les toits, les mettant en déroute :
Une débandade comme on n’en fera plus.
Ils n’étaient pas bien fiers sur le bord de la route
Et allaient çà et là, tous ces zouaves battus.

Ce fut un déluge. Le pays s’en souvient.
Même la Belgique ne prend pas l’habitude
De subir des draches qu’on dit l’œuvre païen
De ces dieux oubliés qu’on mit en servitude
Un jour de trop beau temps, lors d’un été trop rude.
Tout le long du trajet, sur le pas de leurs portes,
Commerçants résignés et voisins en cohortes
Regardaient l’eau tomber sur ces gens autres qu’eux.
Et sur les grands boulvards, des trams de toutes sortes
Allaient sans s’arrêter, fendant les flots en deux.

Ce fut un déluge. Je crois le regretter.
Maintenant, l’air est pur. Derrière les nuages
Était caché du bleu. Il s’en va éclater
Pardelà nos têtes. Oublié, mon orage.
Ce fut un déluge. J’attends le prochain. Sage.

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Lunaire Octidécan

La clarté de la pleine lune n’éclate que pour quelques-uns.
Le claquement du verre sur le sol brise le silence.
Les coquelicots le long des rails courbent la tête après les pluies.

Il est tellement facile d’être amer.
On trouve plus agréable de parler de ce qui est en se souvenant de ce qu’il y a eu.
Le souffle d’une respiration peut rendre sourd.
Il arrive que parfois quelqu’un meure.
Les gens ne sont jamais contents du temps qu’il fait dehors.

Quand il fait chaud, même le vol d’une mouche rafraîchit.
Une corneille blessée est un oiseau qu’on évite.
Il n’y a que pieds nus qu’on se sent vivant.
Le spectacle de gouttes qui tombent sur un trottoir hypnotise.
Le son du métal sur la pierre réveille des souvenirs millénaires.

La vie, ce n’est que des cartons qui prennent la poussière.
Pendant un instant, on se croit des dieux.
Même la nuit, on peut être ébloui.
Les hommes ne dorment jamais.
L’impatience ne touche que ceux qui attendent.
Les hommes modernes regardent des lumières en face à longueur de journée.
Les bateaux sont faits pour atteindre l’horizon.
La fin compte plus que le début.

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Monsieur Maucieux

Il y a un monde. Notre monde. Celui que l’on connait. Mais il n’y a pas que ça. Il y en a d’autres. Différents. D’autres gens y vivent. Ils y vivent assez bien. Il arrive que certains passent d’un monde à un autre. Ça arrive comme ça, d’un coup. Comme si on passait d’une pièce à une autre.
On entre dans une armoire et on se retrouve soudain les pieds dans la neige à parler à un faune. Parfois, on hérite d’un couteau qui permet de découper la réalité pour aller visiter d’autres probabilités. D’autres fois, on marche dans une forêt, on passe entre deux arbres et soudain le soleil est plus grand, la saveur de l’air est plus douce, le sol ne craque pas pareil sous les pieds. On arrive alors en haut d’une colline plantée d’arbres qu’on ne connait pas et le paysage qui se trouve devant soi est tellement étrange qu’on en a le souffle coupé pendant quelques instants. On décide ensuite de partir à la découverte de ce monde et on y vit des aventures formidables.
C’est comme ça que ça se passe quand on est un enfant et qu’on passe dans un autre monde grâce à la magie d’on ne sait qui. Lire la suite

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Des idées

Les idées n’appartiennent à personne.
Ce serait faire preuve d’un orgueil démesuré que de penser le contraire. Après tout, une idée, ce n’est qu’un rien insaisissable. Juste le résultat de la lente macération des expériences, des sentiments, des influences et d’autres choses qui font ce que chacun est. On n’est jamais le seul à avoir l’idée que l’on croit unique et qui effleure les hémisphères. On ne fait que puiser dans le pot commun des connaissances et si on peut donner, c’est seulement parce qu’on a reçu.
La création ne naît pas de nulle part. Mettre au jour une œuvre personnelle, c’est chercher à mettre en contact une part de soi – une partie de son être – avec celle d’autres. Et c’est par un phénomène de résonance que les choses avancent. Lire la suite

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La porte fermée

Un cri jaillit des tréfonds d’une gorge. Un homme au visage rubicond est face à la porte fermée d’un tram. Il a les sourcils froncés, l’écume aux lèvres et l’œil presque exorbité. Son cri n’en finit pas. C’est un cri de rage mêlé de l’incompréhension la plus profonde. Il lève les bras au ciel qu’un toit cache et les abat sur la porte de toutes ses forces. Il frappe de ses poings. Il se met à battre le plexiglas et tente de faire plier les jointures sous le poids de sa colère. Le tout résiste.
On vient le calmer, s’enquérir de son état, mais il n’entend pas les autres et continue de cogner comme ce sourd qu’il est sur sa cible. Il redouble encore de violence dans une série de percussions nouvelles. Une femme lui touche l’épaule et il est parcouru d’un sursaut terrible qui la fait tressaillir. Il tourne vers elle sa défigure et elle pâlit. Il n’a plus rien d’humain, celui qu’elle essayait d’aider, ce monstre dégoulinant de sueur. On court à l’avant chercher le conducteur mais il est déjà trop tard.
L’homme tombe à genoux devant l’huis et son cri meurt en même temps que lui. Sa mâchoire reste crispée dans le masque de peau qu’il avait fabriqué devant cette porte qui représentait pour lui le summum de l’horreur. Sa tête cogne l’imperturbable porte et il roule dans le maigre escalier qui mène aux parois qu’il a criblé de coups. On presse un bouton rouge et on ouvre les battants en urgence. Son corps glisse au sol, inerte. Il n’est plus qu’un pantin désarticulé et dénué de vie. Lire la suite

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Agrume

Tous les jours, on remettait au prisonnier Álamo l’orange que lui apportait sa sœur. Depuis des années, elle accomplissait ce petit rituel avant d’aller travailler en ville. Lui, il gardait l’agrume à l’ombre fraiche de sa cellule jusqu’à ce que le soleil atteigne son zénith. À ce moment seulement, il la pelait pour ensuite en déguster la chair et le jus dont il ne perdait pas une goutte. C’étaient les meilleures oranges de la région.
Le reste de sa journée, il le passait à observer les allées et venues des citoyens libres. La prison se trouvait légèrement en surplomb et dominait une partie de la cité grouillante. Tout le jour, il sculptait dans du bois d’oranger des chevaux ailés qui suffisaient à payer la nourriture qu’on lui servait. Il y travaillait jusqu’à ce que la chaleur moite des rayons du soleil couchant le cloue à terre. Alors, c’était le moment pour lui de rejoindre la chorale avec sa voix de basse aux accents indigènes.
Ainsi allait la vie de condamné. Une vie pas pire qu’une autre, à bien y réfléchir. Ce qui manquait le plus au prisonnier Álamo, c’étaient les balades dans les forêts, pieds nus sur le sol humide de pluies d’été. Depuis de nombreuses saisons, il devait se contenter de l’odeur des gouttes sur les mousses gorgées de soleil. Dans ces moments-là, un sentiment de nostalgie se saisissait de lui. Lire la suite

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