Passion d’été

– Où j’en suis ? Eh bien, comment dire… Lui ? Non, non, c’est fini, ça. Faut dire que cette histoire-là s’est terminée aussi vite qu’elle a commencé. J’avais juste envie de me changer les idées. Maintenant, je suis passée à tout à fait autre chose. Quelque chose de solide. Oui, il est beaucoup plus épais. Faut dire que le dernier était fin comme tout. C’est bien simple : j’avais parfois l’impression de pouvoir voir au travers. J’avais presque honte de sortir avec lui dans la rue.

« Mais avec celui-ci, oh ! je voyage. Il arrive vraiment à me faire rêver. La dernière fois, dans le métro, j’en ai presque oublié de descendre à mon arrêt, tellement j’étais absorbée. Hors du temps, quoi. Il m’absorbe. Puis, celui-là, j’aime particulièrement l’avoir contre moi pour m’endormir. Il est vraiment apaisant. Je reste penchée sur lui tant que je peux, puis, quand je sens mes yeux se fermer malgré moi, je m’abandonne au sommeil et retombe sur lui.

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Crève-Cœur™

Je ne sais plus pourquoi je trainais au bar ce soir-là. Sans doute dans le but de terminer ma journée sur une note alcoolisée. Ou alors pour oublier les nouvelles débitées par la télévision quelques heures plus tôt. Seul, je me suis dirigé machinalement vers le comptoir, où une chaise haute n’attendait que moi. Je me suis assis et j’ai appelé le serveur. Je lui ai commandé je ne sais plus quelle boisson et, en attendant d’être servi, j’ai jeté un coup d’œil autour de moi : il y avait trois demi-douzaines de jeunes gens qui discutaient autour de tables bien pourvues en boissons, un couple de quarantenaires qui gazouillaient comme au premier jour, un pilier de bar dans un coin qui sombrait déjà dans des brumes éthyliques et un homme prostré à deux chaises de distance, le nez plongé dans son verre, comme pris dans ses pensées.
Le serveur m’a apporté mon verre dont je me suis saisi avant d’en savourer le contenu. La journée avait été aussi longue que chaude. Très vite, je me suis planté une oasis de fraicheur dans l’estomac avant de laisser l’alcool jouer son rôle de bienfaiteur. Pendant un moment, je me suis retrouvé seul avec mon verre, tandis que la musique se mêlait au brouhaha des conversations. Du bonheur. Je me serais presque cru des allures de bouddha atteignant un instant le nirvana.

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Engrenages

Il est dit qu’au commencement, tout existait. Tout existait depuis toujours. La Terre, le Soleil aussi, ainsi que notre galaxie, et notre univers. Tout existait. Dans l’immobilité infinie.

Tout existait et rien ne bougeait, dans le froid absolu.

Puis, un jour, il y a des milliards d’années, une étincelle. Tout commence toujours par une étincelle. Le mouvement, enfin, imperceptible d’abord, mais là. La mécanique était lancée. Lentement, sous l’impulsion de cette étincelle qui prenait de l’ampleur, la Terre se mit à tourner sur elle-même. Elle entraina à sa suite la Lune, puis toutes les autres planètes, et le Soleil. Dans un gigantesque système de cause à effet, les autres étoiles commencèrent leur ballet. Les autres galaxies emboitèrent le pas. Lentement, l’univers s’émut.
Et depuis, il ne s’est plus jamais arrêté. Lire la suite

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Agrumes

Le jeune Álamo ressemblait à bien d’autres jeunes de son âge. À vingt-cinq ans, il avait un diplôme universitaire et était au chômage. Il ne s’en faisait pas pour autant. Il avait l’insouciance – d’aucuns disent le cynisme – de sa génération. Il savait que les beaux jours étaient partis et ne reviendraient plus, que le plein emploi était un Éden dans lequel avaient vécu ses parents, mais dont seul le souvenir existait encore. Que le temps des cerises était passé. Mais de tout cela, il s’en foutait.
Il savait que le travail n’était que du temps transformé en argent par quelque procédé alchimique dont il ne comprenait pas toutes les subtilités. Mais ce qu’il savait, c’est que, de temps, il n’en manquait pas. Il avait tout le temps du monde et s’efforçait de le dépenser avec parcimonie.
Il passait donc ses journées à marcher dans les rues de sa ville, attendant de tomber sur des connaissances pour boire le maté avec eux. Parfois, il discutait d’ami en ami sur n’importe quel sujet. Parfois, il lézardait au soleil. Parfois, il s’arrêtait au milieu de nulle part pour savourer le goût des secondes qui défilaient face à lui. Il les comptait sur ses doigts en silence avant de repartir vadrouiller d’un pas égal.
Mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était d’aller se promener dans les parcs, dans les bois ou dans les forêts juste avant les pluies chaudes d’été. Quand il sentait en lui qu’une averse se préparait, il partait à la recherche d’un arbre au feuillage dru qui lui pourrait lui servir d’abri. Il écoutait les premières gouttes de pluie tomber au sol. Il fermait les yeux et humait l’air se gorger d’eau. Il goûtait ce plaisir délicat avec délectation. Souvent, il s’assoupissait, bercé par toutes ces sensations, heureux comme avec une femme. Lire la suite

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Dans les nues

Ghlin. Tandis que glisse la pluie glacée sur les flâneurs du matin, un homme s’englue dans la boue à quelques kilomètres de toute maison.. Enveloppé dans de trop nombreuses couches de vêtements, il peine sur le chemin de terre, pieds nus. Rythmant sa marche, une bourse qu’on ne devine qu’à peine tinte à chaque pas. Sous sa capuche, on devine plus qu’on ne la voit une peau hâlée. Le front est barré de cheveux noirs trempés, retombant en paquets devant des yeux tout aussi noirs. Perdu dans les brumes exhalées par une bouche large aux lèvres plates, son nez épaté renifle fréquemment.
L’homme regarde à gauche puis regarde à droite. Il aperçoit au loin la route qu’il va devoir suivre pour parvenir jusqu’à sa destination. Il se remet en marche. C’est pour lui la première fois qu’il peut observer cette campagne wallonne de ses propres yeux. Ni la boue ni la pluie ne le font déchanter. Ces étendues de terres le laissent ébahi. Parvenu sur une route goudronnée parcourue de trous maintenant remplis d’eau, il s’émerveille face au spectacle des arbres qui dansent derrière le rideau aquatique.
En Belgique, même la pluie finit par s’arrêter de tomber. Le ciel a versé de dernières gouttes discrètes. Le voyageur se défait de sa capuche et pousse un soupir de soulagement. Il sort une carte qu’il tenait jusque là sous son manteau. Il observe les environs et cherche des repères. Après quelques instants, sa mine soucieuse s’illumine. Lire la suite

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La Source Imbue (deuxième partie)

Sous les épaisses frondaisons, dans cette forêt sombre où ne perçaient aucun rayon, tous les sons et bruits étaient en même temps étouffés et amplifiés. Dans la lumière d’ambre, le frémissement de branches dérangées par un animal en fuite prenait des allures d’armée en campagne. Le plus petit chant d’oiseau devenait un murmure angoissant.
Cela faisait des heures que le chevalier avait quitté la maison du vieux seigneur. Peut-être même des jours. Le temps lui-même s’alentissait, comme pris dans la sève. L’horizon était barré de multitudes d’arbres. Le monde se résumait désormais à des verticales. Pour Od, habitué aux grandes étendues, c’était autant de barreaux à la fenêtre de son regard.
C’était une forêt ancienne ; pas un de ces bosquets que l’on trouve de nos jours dans nos régions. Inconsciemment, on comprenait que l’être humain n’avait pas ici son mot à dire. Tout échappait ici à la compréhension : s’il existait un ordre, il n’obéissait à aucune loi connue. Lire la suite

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La Source Imbue (première partie)

Les chevaliers sont des êtres hybrides évoluant dans un monde ambigü.
Il est admis que les aventures de chevaliers se déroulent dans un espace et dans un temps qui ne concernent qu’eux. Ils vivent encore aujourd’hui entre les pages qui les renferment en elles. Ils vivront sans doute encore bien après les lecteurs d’aujourd’hui. Ils vivent tous sous le règne d’Arthur, roi mythique dont on ne sait ni s’il a été vivant ni s’il est mort. À la frontière de la vie et de la mort, mais aussi entre réalité et fiction, leurs exploits appartiennent à la réalité autant qu’au merveilleux. En cela, il y a effectivement une magie qui accompagne les faits de chevalerie.
Cette magie appartient elle-même à plusieurs mondes, entre christianisme et paganisme. Et pour cause : souvent la matière païenne pré-existante a été récupérée par de grands auteurs de religion chrétienne. Ce métissage de cultures forme une trame incohérente et complexe. Parce qu’ils appartiennent au monde de la fiction, leurs histoires sont multiples. La vie d’un chevalier n’appartient pas à l’auteur de ses aventures. Elle appartient au lecteur qui en fera ce qu’il voudra.
Autre magie des récits de chevalerie. Il existe autant de récits que de lecteurs. Et tous sont différents. Et tous sont vrais, parce que la fiction s’affranchit de bien des règles qui régissent la réalité. Réalité qui est parfois bien plus fragile qu’on ne le pense.

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