Lunaire Viginte

La tête dans le ciel, le regard dans les étoiles. La toile de fond est percée de points de lumière. La fascination est grande face à cet infini. Un infini qui se trouve à portée d’yeux. Même un dieu se sentirait peu de chose devant ce très lent ballet stellaire. Alors un homme, sur Terre …
Dans cette immensité, il y a pourtant quelques étoiles qui sont des compagnons. Elles guident les nuits d’insomnie et de contemplation. Elles ne demandent rien d’autre que d’être regardées. En échange, elles offrent un certain réconfort. Un apaisement quasi mystique s’empare de l’homme sidéré. Comme un enfant découvrant un trésor.
Des milliards d’années de silence attendent qu’on les sollicite. Avec une patience toute cosmique, elles cherchent un regard à remplir. Elles fondent alors sur l’imprudent qui les a croisé. Leur silence est une force. S’il existe un peu de son sur Terre, il n’est que perdu dans le fracas muet de l’univers.
Je me sais petit. Et ça me rassure de savoir que dans cet azur assombri, il existe des milliers de corps plus grands que le mien. L’humilité s’impose à moi comme une évidence. Comment se sentir du pouvoir lorsqu’on se rend compte que l’on est rien ? Devant l’anneau galactique, je me sens apaisé. La chaleur du jour laisse la place à une douce fraîcheur. L’estomac digère le repas du soir. La tête en savoure le repos. On se prendrait presque à croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Rien ne bouge.

Ce soir, pourtant, ce calme est rompu fréquemment. La scrutation scrupuleuse de la voûte est récompensée. De temps en temps, une roche vient s’enflammer pour retomber en fine poussière sur la Terre. Comme chant du cygne, c’est une ligne qu’elle trace dans l’espace. Le bref embrasement ravit la vision. Un battement de paupière et tout a disparu. Seul, impossible de savoir s’il s’agissait d’un rêve de quelques secondes ou de la réalité.
Quand une passe, je ne fais aucun vœu. Je me réjouis seulement d’être ici à cet instant, savourant le spectacle. Épuré de toute superstition, elles deviennent superbes. Plus besoin de parler. J’oublie que le monde existe. Il n’existe plus qu’elles. Elles sont seules, les fugaces.

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Lunaire Nonidécan

– Tu aurais dû les voir ! Une véritable assemblée brueghelienne. Impossible de savoir si ces gens dansaient ou titubaient en suivant le rythme de cette musique faite de pulsations. Dans ces soirées, vois-tu, le son participe de l’ivresse. Le sol collait sous les semelles. On reconnaissait des odeurs de sueur et de bière. La chaleur étouffante amplifiaient les fragrances tenaces. De toute évidence, on ne pouvait supporter ce spectacle qu’en étant soi-même plus ou moins imbibé. Ils étaient presque aussi rond que toi, en fait.
« Je sais que tu ne comprends pas cette envie qu’ils ont de perdre conscience. Je ne suis pas sûr qu’eux-mêmes comprennent. Pour vaincre l’ennui. Pour arrêter de penser, un instant. Pour ne plus se sentir toucher terre. Pour prendre des vacances. À vrai dire, beaucoup n’ont pas besoin de raison. Ils s’enivrent d’alcool pour s’enivrer.
« Tout ce que je sais, c’est qu’ils ne se limitent pas à l’alcool, pour se déconnecter de la réalité. Le moins cher, ça reste la télé. Regarder fixement une lumière en face, ça vous abrutit suffisamment pour se croire sincèrement heureux, même lorsqu’on se trouve dans la misère la plus crasse. En fait, toutes les fictions – sur papier ou sur écran, ça n’a pas d’importance – servent à dresser un écran entre soi-même et les soucis de la vie quotidienne. Les drogues dures, c’est pareil mais en plus cher. Puis, pour ceux qui en ont besoin, on passe aux drogues continues, celles qui font flotter dans un nuage : tabac, cannabis, sommeil. La télévision, à petite dose, ça fonctionne encore comme ça. On n’oublie pas la réalité mais on se dit que c’est pire ailleurs (on oublie que c’est pas parce que c’est pire là-bas que c’est mieux ici) et on supporte.
« Mais tous ces gens, là, ils essaient peut-être d’oublier qu’un jour, il faudra gagner leur vie. Et pour la gagner, ils devront très probablement en gâcher une partie. Oh, ce n’est pas que j’ai à redire contre le travail. Il rend libre, après tout. Mais – comment dire – j’ai la nette impression qu’il rend surtout libre de s’enfermer. Je ne suis pas un expert de la liberté, mais j’ai tout de même l’impression que quelque chose cloche quelque part. Enfin, ça doit venir de moi, certainement. Je n’ai pas assez goûté à cette drogue pour en voir les vertus bienfaitrices. Surtout pour en oublier les désagréables effets secondaires. Faut leur dire, aux gens, qu’il faut pas toucher à cette saloperie. Faut pas travailler, dans la mesure du possible.
« Ce que je supporte le moins dans le travail, c’est le rapport de dépendance qui en est indissociable. On gagne de l’argent pour faire gagner de l’argent à d’autres. Mais cet argent ne vient pas du néant. Il vient de gens qui ont travaillé et qui l’ont gagné. On n’en sort pas. On gagne de l’argent pour le dépenser. Et le maigre surplus sert à survivre. Non, ça ne marche pas. J’ai beau tourner ça dans tous les sens, je ne comprends pas comment tout ça ne se casse pas la gueule par terre. Comment c’est possible, ce principe ? Tu peux répondre ? Non, forcément. T’en as rien à foutre, toi. Ça ne te concerne pas.
« Tu sais, pour pas perdre la boule, j’en suis venu à faire une distinction radicale entre travail et loisir. Le loisir relèverait alors plutôt de l’accomplissement de soi. La rémunération n’est que secondaire. On peut travailler gratuitement. On peut devenir extrêmement riche grâce à un simple loisir. La rentabilité doit être le plus mauvais critère imaginable pour classer une activité humaine. Du coup, j’espère bien ne jamais travailler. Juste faire ce que j’ai envie : dormir, manger, lire, écrire. Des plaisirs simples.
« Je veux arrêter de survivre. Je veux vivre. Et je ne crois pas que l’argent peut m’aider à atteindre ce but. L’argent, il a sa propre volonté. Comme un virus, il a tendance à se servir d’hôtes pour se multiplier. Et il répète toujours la même chose. Il n’est pas causant. Il fait tourner les gens en rond.
« Parfois, moi aussi, j’ai l’impression de tourner en rond.

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Ballade sous la pluie

Ce fut un déluge. Des trombes d’eau tombaient
Comme si le soleil s’était noyé au ciel.
Les longues avenues changeaient toutes d’aspect,
Changées en cascades. Cette pluie torrentielle
Frappait de tout son poids la ville de Bruxelles.
Et partout les passants s’enfuyaient sous les gouttes
Qui martelaient les toits, les mettant en déroute :
Une débandade comme on n’en fera plus.
Ils n’étaient pas bien fiers sur le bord de la route
Et allaient çà et là, tous ces zouaves battus.

Ce fut un déluge. Le pays s’en souvient.
Même la Belgique ne prend pas l’habitude
De subir des draches qu’on dit l’œuvre païen
De ces dieux oubliés qu’on mit en servitude
Un jour de trop beau temps, lors d’un été trop rude.
Tout le long du trajet, sur le pas de leurs portes,
Commerçants résignés et voisins en cohortes
Regardaient l’eau tomber sur ces gens autres qu’eux.
Et sur les grands boulvards, des trams de toutes sortes
Allaient sans s’arrêter, fendant les flots en deux.

Ce fut un déluge. Je crois le regretter.
Maintenant, l’air est pur. Derrière les nuages
Était caché du bleu. Il s’en va éclater
Pardelà nos têtes. Oublié, mon orage.
Ce fut un déluge. J’attends le prochain. Sage.

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Lunaire Octidécan

La clarté de la pleine lune n’éclate que pour quelques-uns.
Le claquement du verre sur le sol brise le silence.
Les coquelicots le long des rails courbent la tête après les pluies.

Il est tellement facile d’être amer.
On trouve plus agréable de parler de ce qui est en se souvenant de ce qu’il y a eu.
Le souffle d’une respiration peut rendre sourd.
Il arrive que parfois quelqu’un meure.
Les gens ne sont jamais contents du temps qu’il fait dehors.

Quand il fait chaud, même le vol d’une mouche rafraîchit.
Une corneille blessée est un oiseau qu’on évite.
Il n’y a que pieds nus qu’on se sent vivant.
Le spectacle de gouttes qui tombent sur un trottoir hypnotise.
Le son du métal sur la pierre réveille des souvenirs millénaires.

La vie, ce n’est que des cartons qui prennent la poussière.
Pendant un instant, on se croit des dieux.
Même la nuit, on peut être ébloui.
Les hommes ne dorment jamais.
L’impatience ne touche que ceux qui attendent.
Les hommes modernes regardent des lumières en face à longueur de journée.
Les bateaux sont faits pour atteindre l’horizon.
La fin compte plus que le début.

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Lunaire Septendécan

La lune m’apparaît plus grosse que jamais. Elle est gigantesque et titanesque, énorme et difforme, posée sur l’horizon, écrasant tout le paysage sous elle, étirant même la réalité. Je ferme les yeux. À mesure qu’elle monte dans le ciel, je sens son poids sur mes épaules. Elle pèse lourd dans l’atmosphère saturée d’histoires que je crois vivre. Ce chant que j’entends, n’est-ce bien que le vent dans les branches ? C’est que j’en viendrais à douter de tout lorsque l’astre fait ployer jusqu’au temps qui s’étire en volutes invisibles. Je marche sans plus reconnaître le décor qui m’entoure et m’enserre. Cette sensation d’étouffement qui ne me quitte plus se fait plus présente, plus pressante même. La ville dort et pourtant les lumières restent allumées, formant une incroyable veilleuse pour le poupon urbain. Si l’on observe les carcasses de béton, on pourrait presque le voir respirer. Je remarque que le peu d’étoiles que je pouvais voir à travers les rets de lumière se dérobe devant la puissance des rayons lunaires. Ces jours-ci, le vent s’est calmé. Je m’arrête. J’ai l’impression qu’il n’y a plus qu’elle, en haut, et moi, en bas. Je lui parle mais elle ne me répond pas. Elle me traite avec le même mépris dont je me drape parfois mais qui ne me réchauffe jamais. J’ai l’impression que mes paroles se perdent dans la nuit. Elle se tait. J’ouvre la bouche : « Plus rien ? » Ces deux mots résonnent dans la pâle clarté de la minuit. Je ne suis déjà plus sûr qu’il s’agissait bien d’une question. Ma mémoire se désagrège. Les mots se réverbèrent. Ils accrochent les nuages et fondent en étincelles. Ils éclairent mes pas dans un tonnerre silencieux. Dessus ma tête, les nuages sont figés et je m’étonne de si lents cieux.

Mais voilà que je me réveille sans me souvenir m’être endormi. Je perçois la lumière du jour par deux fentes, à travers le masque que je porte de mon lever à mon coucher. Entre le manger, le boire, le vêtir, le laver, le travailler, le dormir, je me perds dans un dédale d’infinitives. J’ai l’impression parfois de rejouer les mêmes scènes, à l’infini. J’inachève et je laisse en plan. Ainsi, je suis toujours assuré d’avoir une occupation. Cette façon souvent que j’ai de ne pas mettre des mots sur mes sensations à dessein me paraît purement romantique. Le romantisme. L’inaccomplissement érigé en œuvre achevée. Voilà pourquoi on l’associe à l’amour, cette fuite en avant et à deux. En littérature, on pense que ce serait la création qu’on achèverait en écrivant le mot « fin ». J’en viens parfois à croire en la perfection de ce qui n’est pas fini. La vie n’est pas pas infinie, d’ailleurs ? C’est une idée idiote, mais se pourrait-il que l’infini ne soit atteint qu’en ne finissant pas ? J’arrête mon babillage verbeux et verbiageux pour décoller la merde de mes yeux. Crasseux, je redécouvre le monde, comme chaque matin, au filtre des actualités, des hommes assassinés et des idées mortes au soleil de la réalité. Je ne suis pas le seul à porter un masque, comme je le remarque. Mais là où le mien laisse voir un inoffensif intellectuel idéaliste, ceux des autres montrent des visages affables et honnêtes dans les télévisions. Ils sont dangereux. Puis, je me réveille tout à fait et j’oublie mes propres avertissements. Qu’ai-je à en foutre, de ces zigues zaguant entre leurs sales mensonges ? Ils s’empêtrent mais entraînent bien d’autres abrutis dans leur lente dégringolade. Que faire, dès lors ? Je ne me sens pas assez éveillé pour réagir.

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Sonnet du Pet

Il me faut présenter un ami, Arthur : Français et cynique, nous partageons un même point de vue sur la société actuelle, c’est-à-dire que nous sommes tous deux presque désabusés. Ça ne tient qu’à peu de choses. Par contre, à la différence de moi-même, il ne supporte pas les clichés et ce côté un peu fleur bleue que je peux parfois avoir.
Suite au précédent article, ce sonnet que vous pouvez voir plus bas, il m’a envoyé une réponse sous forme de parodie. Avec son accord, je vous la copie ci-dessous :

Une alchimie complexe a déjà commencé.
Quelque chose remue : mes intestins se tordent
Dans un concert infect. Anarchie et discorde :
En un mot comme en cent, j’ai envie de vesser.

La foule autour de moi me force à retenir
Ce gaz qui est en moi et qui veut s’échapper.
Je lève une fesse discrètement. Un ré
Rompt ce silence sourd, déclenchant quelques rires.

Celui-là retentit bien fort, avec grand bruit.
C’est une vraie honte sous des regards d’autrui.
Malgré tout, je suis fier de ce précieux fumet.

Cette œuvre éphémère se dilue dans les airs.
Je n’ai qu’un seul regret, loin de votre colère :
C’est qu’on se sent plus lourd d’avoir lâché un pet.

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Sonnet des amours

Une alchimie complexe est à l’œuvre en moi-même.
Je sens que mon âme se serre par à-coups,
Devenant carillon qui sonne de grands coups.
En un mot comme en cent, je peux le dire : j’aime.

On a déjà tout dit sur ce sujet connu.
Je ne parlerai pas de ces amours banales
Qui gonflent les livres de trames anormales.
Moi, je leur préfère les sentiments diffus.

Ceux-là qui explosent sans faire de bruits,
Ceux qui un jour naissent, mûrissent comme un fruit
Et ne meurent jamais, renaissant sur leurs croix.

Mon amour est ainsi : un soleil impossible
Dont les rayons touchent des dizaines de cibles.
La plus proche a chaud, les autres n’ont pas froid.

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