Dérive somatique

CC-BY-SA dejan91lp

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Dix-sept heure cinquante-neuf. Il ne reste plus qu’une minute à attendre. Les aiguilles de l’horloge séparent le cadran en deux moitiés identiques. Les portes sont fermées pendant que John sert le dernier client. Il lui jette à la figure son dernier sourire de la journée ainsi qu’un « au revoir » expéditif et le client s’en va poursuivre sa soirée dans un lieu plus plaisant que celui-ci. John n’a plus qu’à compter sa caisse, maintenant. Bientôt, il pourra lui aussi quitter cette cage trop propre. Tandis que ses doigts glissent sur les billets sales et froissés, il espère secrètement ne pas avoir de différence de caisse. Cela le forcerait à recompter et même, dans le cas où sa caisse s’obstinerait à ne pas être juste, il serait obligé à donner des explications à son chef. Ce n’est pas que John se sente coupable de quelque crime. C’est juste qu’il n’a pas envie de perdre du temps en d’inutiles explications. Quand il compte les billets de cinquante euros, une pointe d’anxiété l’assaille. L’idée de rester une seconde de plus que nécessaire dans cet endroit trop blanc pour être honnête lui est insupportable. En jetant un regard en coin aux parois immaculées, il ne se souvient plus s’il se trouve dans une prison, un hôpital ou quelque autre chambre où l’on ne fait que des mauvaises rencontres. Il termine de compter les pièces d’un centime et clique sur « valider ». Il y a une seconde de flottement durant laquelle son cœur arrête de battre. Heureusement, la caisse s’avère être juste, ce soir. John respire avec satisfaction. Le voici libre de regagner ses pénates. Lire la suite

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L’instant magique

Tu ne me vois pas, mais je suis là. Toujours là sans que tu ne me prêtes jamais attention. Ces semaines-ci, tu ne me vois sans doute pas quand je suis dans le Parc royal, assis sur un banc, en train d’attendre. Les musiques du Brussels Summer Festival accompagnent cette attente. Car c’est tout ce que je fais, là ou ailleurs : j’attends. Lire la suite

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Le Savon (I)

J’étais quelqu’un de bien, j’imagine. Je ne me souviens pas de qui j’ai été, mais je suppose que ma vie a dû être exemplaire. À la mort de mon corps, ma conscience a subsisté. Ce sont des choses qui arrivent, apparemment. Et quand ça arrive, la conscience est renvoyée sur Terre, pour une durée plus ou moins longue. En fonction de la vie que l’on a eue, cette « seconde vie » est plus ou moins agréable pour ces consciences réinvesties.

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Acide

C’est le grondement lointain du tonnerre qui me tire de mon sommeil. Je me suis endormi mais j’aurais mieux fait de ne jamais me réveiller. Au moins, je serais mort sans souffrance. Maintenant, je sais que rien ne me sera épargné : ni ma propre fin, ni la perspective de celle-ci.
J’ouvre les yeux sur la fraicheur de la nuit et le silence qui y règne. Du haut de la dune géante où je suis, le désert se dévoile dans toute son immensité. Cette vision ne fait que me confirmer ce que je savais déjà : je suis perdu. Aucun abri aussi loin que porte le regard. Rien pour briser l’horizon. Juste cet erg de sable blanc. Et au dessus de ma tête, des nuages qui commencent à dévorer la Lune. La lumière s’éteint et je me retrouve dans une obscurité totale. Je ferme les yeux. J’attends la suite avec résignation. Inutile de fuir, la mort est déjà partout. Je l’entends qui tombe en bombes silencieuses. Lire la suite

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Dans les yeux du soleil

CC-BY-SA Petar Milošević

A woman’s eye – CC-BY-SA Petar Milošević

Dans la fraîche chaleur du printemps, Bruxelles frissonne. Ses rues frémissent dans la brise avrillée. Les chemises se décollettent, révélant des vallées que l’hiver avait oubliées. Les robes longues et légères aux allures estivales claquent au vent. Tous les corps se tournent vers le soleil, cherchant à se gorger de lumière. Dehors, les gens se parent de couleurs vives, sans doute afin d’amener plus vite à eux le mois de juillet, qui est encore si loin d’eux.

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Tempus fugit

On nous a annoncé le retour du temps.
Cela veut dire que, ce soir, le monde va reprendre sa respiration, après un long moment d’arrêt. Le soleil s’est levé et couché de nombreuses fois sans qu’aucune nouvelle ne nous parvienne. Mais c’est pour très bientôt, dit-on. Sans que personne ne l’ait annoncé, la rumeur court sur tous les continents, à la vitesse du son. C’est comme si le temps s’annonçait de lui-même. Lire la suite

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Le Moine Copieur

Dans le silence de la salle du monastère, Lionel plongea sa plume dans l’encre, et, dans un mouvement souple, il posa la pointe sur le parchemin qui lui faisait face.
Le premier crissement marquait le début de la journée et était suivi de bien d’autres. Il aimait cet instant où il reprenait son travail là où il l’avait laissé la veille. Il relisait une première fois le manuscrit original à haute voix, puis il le plaçait à côté de lui, ouvert sur la page où il s’était arrêté. Il mettait son doigt sur la ligne exacte, puis commençait à écrire. Il prenait son temps pour recopier chaque lettre avec soin. Contrairement aux autres copistes, il le savait, il avait le luxe de ne pas devoir travailler dans l’urgence, pouvant se relire, voire même se corriger quand cela s’avérait nécessaire. Lire la suite

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