Lunaire Octe

Par la fenêtre ouverte, il y a le matin.
Une épaisse clarté s’insinue dans ma chambre.
Dehors, des bruits d’enfants, de moteurs et d’oiseaux.
Je me réveille enfin. Un nouveau jour commence.

Par la fenêtre ouverte, un disque d’argent plein
M’observe encore un peu. Je tire sur mes membres
Qui, un à un, craquent. Je gagne mon bureau
Et je pose mon cul. Le travail m’est souffrance.

Par la fenêtre ouverte, un orage, hautain.
Me cache la lune, crache comme en novembre.
Dans un rideau de pluie, il déverse son eau
Qui tombe sur les toits, percute le silence.

Par la fenêtre ouverte, un tissu de satin,
Ouvrage arachnéen, tremble, ploie et se cambre.
Les fils de soie retiennent la lumière d’en haut,
Ne laissant plus passer que le soleil, immense.

Par la fenêtre ouverte, une cloche m’atteint :
Il est déjà bien tard. Tout seul, je me remembre
Quelques événements, des actes et des mots,
Quand soudain je revois le globe de faïence.

Par la fenêtre ouverte, un zéphyr me parvient,
Je tourne en rond, j’attends. Je suis dans l’antichambre
Et je me prépare tant que je peux, sans trop.
Souvent je m’arrête, je me lève et m’élance.

La fenêtre se ferme et la lune s’éteint
Tandis que s’allument les salons et les chambres.
Les heures vont sur moi en me courbant le dos.
Devant mes yeux tremblants, le monde entier danse.

La fenêtre est fermée dès que la nuit me vient.
Ce n’est pas aujourd’hui que je saisirai l’ambre
Qui flotte dans les cieux. Je passe mon temps … oh !
À presque rien faire. Parfois, c’est vrai, je pense.

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Lunaire Septe

Il y a quelque chose en moi qui réagit
À la lourdeur du temps, à ce ciel nébuleux,
Au soleil, à la pluie qui tombe sur le sol,
Nettoyant l’air vicié, et puis qui s’évapore.

Quand je lève les yeux vers l’astre de la nuit,
Je réfléchis longtemps. Parfois, je suis heureux :
La musique du vent me retient par le col,
La chaleur entre en moi, me réchauffe le corps.

D’autres fois, revêtu de ma mélancolie,
Je pense trop longtemps. Jeune, je me sens vieux,
Comme si le monde détruisait ses idoles.
Je me couche dans l’herbe, et j’oublie, et je dors.

Je me couche dans l’herbe et puis je m’assoupis.
Une goutte tombe juste entre mes deux yeux ;
Je tends les bras en croix, j’écoute la nuit folle
Qui, sertie d’étoiles, chante et murmure encore.

J’erre dans la ville, guidé par mon envie,
Toujours un peu perdu sous le gris de ces cieux.
On fête le pays : l’armée et le pétrole,
Le travail, le progrès et ce beau dieu qu’est l’or.

Je sens quelques chose, comme un fruit blet, pourri.
Le citoyen, muet, abandonne son feu,
Pour celui du poste qui rend sa tête molle.
Il regarde l’écran, son esprit, lui, est mort.

Ces vers inutiles sont jetés sans un bruit
Se perdant dans la toile, oubliés d’ici peu.
J’ai écrit quelques mots – c’est ce qui me console –
J’ai donné mon avis sans trop pleurer sur mon sort.

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Lunaire Sixte

J’observe tout tremblant le spectacle lunaire.
Je n’entends plus la ville et ce bruit obsédant,
Puis j’essaie d’oublier le jour des lampadaires.
Je plonge tout entier vers l’astre couleur sang.

Dans le ciel, la dame s’est défait de son voile,
Sa tenue de lumière et d’argent ciselé.
Elle a montré sa chair en laissant aux étoiles
La tâche d’éclairer toute l’humanité

Elle a un peu rougi puis a repris sa tenue.
Et dans le creux d’un arbre, elle s’est rhabillée
Sans bruit, pudiquement, honteuse d’être nue.
– Vision somptueuse pour les rêveurs raillés !

Posée sur un coussin vaporeux, un nuage,
La perle baroque s’élance dans le ciel
Et commence à danser. Est-ce l’œuvre d’un mage
S’il n’existe plus rien excepté l’essentiel ?

Complètement perdu dans ma contemplation,
J’erre à la surface de la sphère si claire.
Je trébuche et tombe lorsque je touche un mont.
Stupide, je couche dans le fond d’un cratère.

Mais l’ombre de la lune est déjà repartie.
Privée de lumière, c’est d’un éclat nouveau,
Sur les coups de minuit, qu’elle brille et scintille,
Gardant son œil qui luit sur les amis du Beau.

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Lunaire Quinte

Je ne pense plus rien. Ondoyants, ondulants,
Les tout derniers restes de la chaleur du jour
Glissent dans les désairs, poissons froids et brûlants.
Ils ont leur volonté, font d’absurdes détours.

Comme une marée d’or, l’ardent flot de lumière
Submerge mon âme, cette liqueur sucrée
Qui est, malgré son goût, l’essence prisonnière
D’un long flacon de verre, un calice sacré.

La bouteille à la mer de ce corps indolent
Dérive dans l’aube, vogue dans l’infini,
S’échoue sur la plage des rêves envoûtants,
Oublie la vie d’en bas, celle qui est finie.

Après des secondes qui sont des millénaires,
Rampant sur le sable, ce vieux corps se réveille.
Il se laisse emporter par la houle solaire,
Et s’éloigne bientôt des rives du sommeil.

Il regagne son lit, le temps reprend son cours.
Je quitte les rêves de grèves lumineuses.
Sous mes yeux, des haillons de feu et de velours
Dansent dans une aurore irréelle et gracieuse.

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Lunaire Quarte

Il n’est pourtant qu’Avril et c’est déjà l’été.
J’ôte mes godasses, je plonge mes pieds nus
Dans la fraîcheur du sol. Sans un mot, je m’en vais
Admirer les vallons de mes yeux ingénus.

Certains jours, je m’ennuie, je regarde la lune
Et je me perds en elle, oubliant mes folies.
Le scintillement d’Orion me rassure. À la brune,
J’essaie de l’attraper, cet astre qui me fuit.

Je me perds dans le ciel. Je m’y perds à jamais.
Je claudique pourtant : une petite étoile
Traine dans ma semelle. Elle y est jusqu’à mai
Et je la supporte. Puis la douleur s’étiole…

Je me tiens loin du monde, évitant les nouvelles,
Je préfère rester dans mon cocon tranquille,
Égoïsme immonde, suivre des yeux les belles,
Les siffler. Puis, pester, jurer, partir en vrille.

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Lunaire Tierce

Il est déjà printemps. Les grands feux du soleil
Consument les charbons de la triste grisaille.
Ce sont des caresses, du cou jusqu’à la taille.
Dans mon havre, par le hublot, loin du sommeil,

Je vois ces gens dans tout ce sang, dans les débris
De leur monde. Ils n’ont plus rien, attendant la fin,
Pendant qu’ici rien ne bouge, fuyant en vain.
Je m’inquiète quand s’écroule mon bel abri

Et j’assiste, bien impuissant, au changement.
Mais c’est aussi le temps de ces seins qui, merveilles,
Pointent sous le tissu. L’heure enfin du réveil
Du monde tout entier, du monde en mouvement.

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Lunaire Seconde

Dans l’océan d’en haut, au-dessus des Étangs,
Quatre autres semaines dans le froid févriaire.
Le temps d’un larghetto la reine solitaire
Se pare, éblouissante en ses rayons patents.

La maîtresse des flux soulève tous les flots.
Elle guide ma main : je regarde mes mots
S’écrire devant moi. Ita noctem demo.
Sur Bruxelles, le noir couvre le gris enclos.

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