Abandonnée sur la plage,
La langue saline, la longue langue marine
Frôle un bulbe translucide enfoncé dans un cratère.
Nimbé d’écume, c’est une couronne funèbre qui le ceint.
Le dôme palpite faiblement, encore parcouru d’une étincelle
De vie. Déjà le soleil et le sable lèchent la fine membrane
Qui transpire sous la morsure acerbe. C’est un îlot
Pathétique que laisse la marée sur la triste digue.
Et moi, en voyant ce spectacle émouvant,
Je sens monter en moi une vague bleue
Qui m’envahit, m’enveloppe, m’enivre.
Le vent emporte des lambeaux d’or,
Tandis_______Comme______Et moi,
que,__________une__________je
dans_________brume________m’en
le loin,_______courant______reviens
la pluie_______dans le______dans
s’efface_______petit______mon
__enfin._______matin.______Nord.
Prélude
Il y a la terre. Il y a la mer. Là où les deux se rejoignent, il y a le vent. Un vent d’une force terrible, à en arracher les rochers. La plage est grise. La mer est grise. Le ciel est gris. Le paysage forme un bloc compact. Sur une petite route de campagne, deux hommes sont habillés de gris, mêlés au décor. Le premier est à cheval. Le second suit à pied. Le cheval est gris. Le cavalier porte une épée à la ceinture. Dans le jour qui décline, le tableau qu’ils dessinent semble monochrome. Le soleil se trouve derrière des remparts de nuages épais. Les couleurs ont déserté ce monde. Il n’existe plus qu’une infinité de teintes de gris. Lire la suite
Lunaire Unviginte
D’abord la fatigue du corps. Les jambes lourdes. Les chevilles douloureuses. Les articulations craquent. Tout ralentit. Le souffle est court. Le cœur bat à peine. Les bras bougent peu. Les mains traînent. La bouche s’entrouvre. La mâchoire pend. Les paupières tombent. Chaque mouvement pèse. Le temps passe. Petit à petit. Seconde à seconde. Il s’étire. N’en finit plus. Il s’effondre sur lui-même. Le corps aussi, inerte. Une mécanique qui s’éteint. Le corps engourdi de sommeil.
Ensuite la fatigue de l’esprit. Des éternités plus tard. La carcasse désarticulée se raccroche à un fil. Celui de la pensée. Tout tient à ce fil. Autour, ce sont des brumes. Impalpables. Invisibles. Étouffantes. Le cerveau rend les armes. Les yeux voient trouble. La bouche balbutie. Les gestes se saccadent. Des ombres dansent. On se sent brillant. On ne l’est pas. On entend les pensées. À cause du silence. Ce silence absurde. La tête devient cathédrale. Chaque son est un fracas. Chaque lumière éblouit. Chaque idée est précieuse. Tout fait écho. On vit tout deux fois. On savoure l’instant. On ne le savoure plus. Il n’y a plus d’énergie pour. On savoure de ne plus savourer. On tient dans cet état. Parce qu’on sait qu’il doit finir.
Enfin tout s’arrête. Tout bascule. La tête se pose. Le corps se réchauffe. La chaleur vient du ventre. Elle se répand partout. Doucement. On sombre. Dans un sommeil sans rêve. Sans fin. La délivrance. Tout s’arrête. Tout s’éteint. Plus rien ne trouble le silence.
On attend de renaître sous une lune bleue.
Lunaire Viginte
La tête dans le ciel, le regard dans les étoiles. La toile de fond est percée de points de lumière. La fascination est grande face à cet infini. Un infini qui se trouve à portée d’yeux. Même un dieu se sentirait peu de chose devant ce très lent ballet stellaire. Alors un homme, sur Terre …
Dans cette immensité, il y a pourtant quelques étoiles qui sont des compagnons. Elles guident les nuits d’insomnie et de contemplation. Elles ne demandent rien d’autre que d’être regardées. En échange, elles offrent un certain réconfort. Un apaisement quasi mystique s’empare de l’homme sidéré. Comme un enfant découvrant un trésor.
Des milliards d’années de silence attendent qu’on les sollicite. Avec une patience toute cosmique, elles cherchent un regard à remplir. Elles fondent alors sur l’imprudent qui les a croisé. Leur silence est une force. S’il existe un peu de son sur Terre, il n’est que perdu dans le fracas muet de l’univers.
Je me sais petit. Et ça me rassure de savoir que dans cet azur assombri, il existe des milliers de corps plus grands que le mien. L’humilité s’impose à moi comme une évidence. Comment se sentir du pouvoir lorsqu’on se rend compte que l’on est rien ? Devant l’anneau galactique, je me sens apaisé. La chaleur du jour laisse la place à une douce fraîcheur. L’estomac digère le repas du soir. La tête en savoure le repos. On se prendrait presque à croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Rien ne bouge.
Ce soir, pourtant, ce calme est rompu fréquemment. La scrutation scrupuleuse de la voûte est récompensée. De temps en temps, une roche vient s’enflammer pour retomber en fine poussière sur la Terre. Comme chant du cygne, c’est une ligne qu’elle trace dans l’espace. Le bref embrasement ravit la vision. Un battement de paupière et tout a disparu. Seul, impossible de savoir s’il s’agissait d’un rêve de quelques secondes ou de la réalité.
Quand une passe, je ne fais aucun vœu. Je me réjouis seulement d’être ici à cet instant, savourant le spectacle. Épuré de toute superstition, elles deviennent superbes. Plus besoin de parler. J’oublie que le monde existe. Il n’existe plus qu’elles. Elles sont seules, les fugaces.
Hérétique
Il faut comprendre l’autre.
Je pourrais expliquer pourquoi la tolérance et pourquoi la compréhension, mais ceux qui n’ont pas compris ne comprendront jamais. Pas avec des mots, en tout cas.
Je ne suis pas le seul être humain sur cette terre. Je ne suis pas le seul à penser. D’autres pensent, parfois mieux que moi. Quand je parle, je ne dis rien de nouveau. Il y a eu des milliers d’hommes qui ont formulé mes paroles avec plus ou moins de justesse, avec plus ou moins de génie. J’ai néanmoins envie de le dire avec mes mots. Lire la suite
Lunaire Nonidécan
– Tu aurais dû les voir ! Une véritable assemblée brueghelienne. Impossible de savoir si ces gens dansaient ou titubaient en suivant le rythme de cette musique faite de pulsations. Dans ces soirées, vois-tu, le son participe de l’ivresse. Le sol collait sous les semelles. On reconnaissait des odeurs de sueur et de bière. La chaleur étouffante amplifiaient les fragrances tenaces. De toute évidence, on ne pouvait supporter ce spectacle qu’en étant soi-même plus ou moins imbibé. Ils étaient presque aussi rond que toi, en fait.
« Je sais que tu ne comprends pas cette envie qu’ils ont de perdre conscience. Je ne suis pas sûr qu’eux-mêmes comprennent. Pour vaincre l’ennui. Pour arrêter de penser, un instant. Pour ne plus se sentir toucher terre. Pour prendre des vacances. À vrai dire, beaucoup n’ont pas besoin de raison. Ils s’enivrent d’alcool pour s’enivrer.
« Tout ce que je sais, c’est qu’ils ne se limitent pas à l’alcool, pour se déconnecter de la réalité. Le moins cher, ça reste la télé. Regarder fixement une lumière en face, ça vous abrutit suffisamment pour se croire sincèrement heureux, même lorsqu’on se trouve dans la misère la plus crasse. En fait, toutes les fictions – sur papier ou sur écran, ça n’a pas d’importance – servent à dresser un écran entre soi-même et les soucis de la vie quotidienne. Les drogues dures, c’est pareil mais en plus cher. Puis, pour ceux qui en ont besoin, on passe aux drogues continues, celles qui font flotter dans un nuage : tabac, cannabis, sommeil. La télévision, à petite dose, ça fonctionne encore comme ça. On n’oublie pas la réalité mais on se dit que c’est pire ailleurs (on oublie que c’est pas parce que c’est pire là-bas que c’est mieux ici) et on supporte.
« Mais tous ces gens, là, ils essaient peut-être d’oublier qu’un jour, il faudra gagner leur vie. Et pour la gagner, ils devront très probablement en gâcher une partie. Oh, ce n’est pas que j’ai à redire contre le travail. Il rend libre, après tout. Mais – comment dire – j’ai la nette impression qu’il rend surtout libre de s’enfermer. Je ne suis pas un expert de la liberté, mais j’ai tout de même l’impression que quelque chose cloche quelque part. Enfin, ça doit venir de moi, certainement. Je n’ai pas assez goûté à cette drogue pour en voir les vertus bienfaitrices. Surtout pour en oublier les désagréables effets secondaires. Faut leur dire, aux gens, qu’il faut pas toucher à cette saloperie. Faut pas travailler, dans la mesure du possible.
« Ce que je supporte le moins dans le travail, c’est le rapport de dépendance qui en est indissociable. On gagne de l’argent pour faire gagner de l’argent à d’autres. Mais cet argent ne vient pas du néant. Il vient de gens qui ont travaillé et qui l’ont gagné. On n’en sort pas. On gagne de l’argent pour le dépenser. Et le maigre surplus sert à survivre. Non, ça ne marche pas. J’ai beau tourner ça dans tous les sens, je ne comprends pas comment tout ça ne se casse pas la gueule par terre. Comment c’est possible, ce principe ? Tu peux répondre ? Non, forcément. T’en as rien à foutre, toi. Ça ne te concerne pas.
« Tu sais, pour pas perdre la boule, j’en suis venu à faire une distinction radicale entre travail et loisir. Le loisir relèverait alors plutôt de l’accomplissement de soi. La rémunération n’est que secondaire. On peut travailler gratuitement. On peut devenir extrêmement riche grâce à un simple loisir. La rentabilité doit être le plus mauvais critère imaginable pour classer une activité humaine. Du coup, j’espère bien ne jamais travailler. Juste faire ce que j’ai envie : dormir, manger, lire, écrire. Des plaisirs simples.
« Je veux arrêter de survivre. Je veux vivre. Et je ne crois pas que l’argent peut m’aider à atteindre ce but. L’argent, il a sa propre volonté. Comme un virus, il a tendance à se servir d’hôtes pour se multiplier. Et il répète toujours la même chose. Il n’est pas causant. Il fait tourner les gens en rond.
« Parfois, moi aussi, j’ai l’impression de tourner en rond.
Primum gaudeamus
La lumière commence à mourir.
Prenons un temps pour nous recueillir.
Il m’arrive d’être parfois profondément pessimiste quant à notre avenir, à nous qui sommes nés entre les années quatre-vingt et l’an deux-mille. J’ai l’impression de faire partie d’un monde de crise, qu’elle soit économique, écologique, sociale ou humaine. Je me rassure en me disant que chaque jeune génération a plus ou moins pensé ça de son époque, mais ça n’est pas suffisant. Ça doit être un trait de la jeunesse, de croire que le monde va mal et qu’il faut le changer. Peut-être une volonté de ne pas vieillir et de se rassurer en se disant qu’on n’aura pas le temps d’avoir soixante ans, puisque tout sera fini d’ici là. Entre espoir et désespoir, juste histoire de pouvoir penser à autre chose qu’à l’avenir lointain. Lire la suite