La Corneille et le Goupil

Ésope parle d’un morceau de viande volée. La Fontaine raconte l’histoire d’un fromage. Tous deux transcrivent l’histoire d’un corbeau trop orgueilleux lâchant sa proie pour faire entendre sa voix à un renard. Celui-ci s’en empare et, loin de se contenter du fruit de son larçin, raille celui qu’il a grugé en ces mots fameux chez La Fontaine : « Mon bon Monsieur, / Apprenez que tout flatteur / Vit aux dépens de celui qui l’écoute : / Cette leçon vaut bien un fromage sans doute. »

« Cette fable est une leçon pour les sots », précise Ésope.

Dans les deux cas, le message est clair : méfiez-vous des flatteurs, ils sont souvent intéressés et celui qui les écoute risque d’y perdre des plumes.

Et pourtant ! Pourtant la flatterie est essentielle en tant qu’elle participe au processus de création. Tous les artistes ne sont pas Voltaire, Hugo, Baudelaire ou Rimbaud. Certains ont besoin d’être encouragés pour continuer de produire. Certains ont besoin de savoir que leurs voix font écho. Et d’autres ne créent que pour être flattés, pour combler un manque dirait Freud. Dans tous les cas, la flatterie est loin d’être un mal absolu.

Mieux encore, elle prend un sens nouveau grâce à Internet : non pas une fenêtre sur le monde, ce qu’était la télévision, mais plutôt une porte, en ce qu’il nous permet d’interagir directement avec ce que nous voyons.

Ce qui m’amène à Flattr, plateforme que je me décide enfin à essayer. Flattr, créé par Peter Sunde (co-fondateur de The Pirate Bay, ça situe le bonhomme en ce qui concerne son idée du partage des idées), est un système de donation par micropaiements. Le principe est assez simple : chaque mois, vous décidez d’une certaine somme (quelques euros, généralement) que vous désirez dépenser pour des artistes que vous appréciez. À chaque flattr que vous laissez sur un site disposant d’un bouton adéquat (ou pas, grâce à une extension Firefox), vous décidez de donner une partie du budget alloué à ce site. À la fin du mois, l’argent est réparti entre les différents sites que vous avez flattrés.

Il s’agit d’une alternative à un web qui, bien qu’il semble gratuit, est payant, dans la mesure où les sites que vous visitez recueillent des informations sur vous afin de vous proposer des publicités ciblées. Vous pouvez vous renseigner un peu plus avant sur d’autres sites, chez Ploum ou chez Greg, pour commencer.

Mon profil Flattr se trouve ici. Vous pouvez me flattrer soit en-dessous de cet article, soit sur la page principale (sous les archives), soit directement sur mon profil Flattr.

Je verrai bien ce que ça donne d’ici quelques mois. Je ne me fais pas d’illusion : je ne vais pas gagner ma vie avec ce système, mais s’il fonctionne en circuit fermé, ce sera déjà ça de pris, Flattr permettant de mieux partager des produits culturels. J’aurai au moins apporté ma petite contribution pour un meilleur internet.

Et afin que je ne vous laisse pas sur un billet dépourvu de toute saveur littéraire, voici une fable, parodie d’une autre bien plus connue.

Dame Corneille vivait de son chant.
Elle racontait partout à la ronde
___Dans les villes autant qu’aux champs
Ce qui se passait par delà le monde.
On la payait bien : des poignées de graines
Contre des récits de Grèce ou d’Ukraine.

On tissa un jour une grande toile
___Pour abreuver d’informations
___— Gratuitement, leur disait-on —
Tous les animaux, à plume ou à poil.
Notre bon Goupil en gardait en bouche
___Un goût amer ; avec cette eau,
___On lui faisait gober des mouches :
Des publicités aux sources d’infos.

Il alla chercher d’autre informateur.
Il rétribua Dame Corneille
Pour qu’un chant sans pub lui vint à l’oreille.
Ainsi s’accordent flattés et flatteurs.

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4 réflexions sur “La Corneille et le Goupil

  1. Pingback: Pourquoi les pirates (belges) doivent se mettre à Flattr! - Le blog du Greg

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