Dans la fraîche chaleur du printemps, Bruxelles frissonne. Ses rues frémissent dans la brise avrillée. Les chemises se décollettent, révélant des vallées que l’hiver avait oubliées. Les robes longues et légères aux allures estivales claquent au vent. Tous les corps se tournent vers le soleil, cherchant à se gorger de lumière. Dehors, les gens se parent de couleurs vives, sans doute afin d’amener plus vite à eux le mois de juillet, qui est encore si loin d’eux.
Au bois de la Cambre, les étudiants se massent au plus près des eaux du lac. Ils discutent, ils lisent, ils boivent, ils rient. Dans toutes les langues du monde, l’endroit a des accents babyloniens. J’y passe souvent, n’hésitant pas à faire un détour pour profiter de la vie qui ralentit dans cet écrin de verdure, au cœur du béton et du métal qui font la ville.
Aujourd’hui, moins en retard que d’habitude, mais néanmoins en retard, je marche vite dans les allées bordées de jeunes hommes et femmes en fleur, plantés dans l’herbe qui reverdit. Je dépasse une paire de renoncules – des boutons d’or – d’abord sans les remarquer. Ayant l’impression que les deux bourgeons d’un jaune éclatant me regardent, et m’apercevant que ce n’est pas encore la saison, je me retourne, et tombe œil à œil avec une jeune femme allongée à quelques enjambées de moi.
Ses yeux d’or croisent les miens, pendant un court instant qui semble s’éterniser en siècles flamboyants. Finalement, elle détourne le regard, dans ce qui est un déchirement pour moi. La femme-soleil pose ses pupilles aurifères sur les reflets dansant du lac. Elle le fixe tellement que j’ai l’impression que les eaux vont s’enflammer. Moi-même, je me sens envahi d’une ardeur grandissante, qui passe sur mes joues puis court sur tout mon visage.
Je suis là, immobile, et je garde le souvenir de ces deux éclairs dorés. Ils laissent dans ma mémoire une marque indélébile. D’avoir vu ces soleils vrillés, je reste encore ébloui.
Reprenant mes esprits, je fais un pas vers toi. Je te parle, mais tu ne m’écoutes pas. Tu ne me vois pas, et moi je ne vois que toi. Tu contemples le monde, sans me remarquer. Tu poses tes yeux lointains sur toute chose avec la même indifférence. Après tout, le soleil ne se soucie pas des yeux qui se tournent vers lui.
Je tends la main vers toi, pour essayer d’attraper un éclat de ton regard. Autant essayer d’attraper des étoiles dans le creux de la main. J’essaie de t’atteindre, en vain. Ramenant ma main à moi, je me tourne et j’essaie d’oublier ta chaleur qui, pour un instant, m’a touché si fort. Le feu qu’elle a allumé en moi brûle encore et continuera sans doute de me consumer tout le printemps.