Tragédie et carnage

On parle dans ce journal du samedi 22 août 2015 sur RTL-TVI d’un « massacre évité de justesse ». C’est ainsi que le journal s’ouvre. On évoque ensuite un « carnage » qui aurait pu avoir lieu. L’incident du Thalys 9364 s’inscrit dans la continuité des attentats ou tentatives d’attentats qui ont marqué la Belgique et la France depuis ce début d’année 2015. Pourtant, ici pas de morts et peu de dégâts. Ça n’empêche pas certains médias de transformer cet incident en piqûre de rappel : n’oubliez pas d’avoir peur.
Après un bref résumé des faits, la parole est donnée aux témoins, qui partagent leur émotion. Ils ne donnent pas vraiment d’informations supplémentaires sur les faits, mais juste leur ressenti, leur émoi. Ils ont vécu, on nous le rappelle, « sept heures d’attente et d’inquiétude ». L’inquiétude est le maître-mot, celui qu’il faut retenir de cette séquence.
Quelques minutes plus tard, après un exposé des faits qui couvre de nombreux aspects (la bravoure des quatre passagers, le profil du suspect, etc.), Caroline Fontenoy, la présentatrice, se tourne vers Charles Michel et énonce très simplement en guise de seconde question : « J’aimerais tout d’abord avoir votre sentiment sur cette attaque qui aurait pu toucher tout le monde. On a l’impression de ne plus être en sécurité nulle part. » Ces mots résonnent dans des milliers de foyers en Belgique. Dans sa réponse, le Premier Ministre belge va dans le sens de la présentatrice, quand il explique en quelques mots : « On est passés à côté d’une potentielle tragédie. On est passés à côté d’un carnage. »
Tragédie et carnage. Des mots qui ne sont pas à prendre à la légère. La tragédie est le genre théâtral sensé faire naitre la terreur et l’effroi chez le spectateur. Le carnage, c’est la mise en pièce des corps et des chairs. Le carnage est à rapprocher de la boucherie et du massacre, plus que du meurtre, qui est plus neutre. Ces deux mots ont une charge émotionnelle forte.
Le mot « potentiel » prononcé par le Premier Ministre a également son importance. Ainsi, il y aurait donc des raisons d’avoir peur, mais ces raisons ne concernent non pas ce qui s’est passé, mais ce qui aurait pu se passer. Ainsi, même quand il n’y a aucune raison objective d’avoir peur, on en vient à imaginer ce qui aurait pu advenir.
Moi, je ne me sens pas tranquille quand certains médias et les hommes politiques tiennent ce genre de discours. Non seulement, ils font le jeu de ces terroristes qu’ils veulent combattre (car je suis convaincu qu’ils sont de bonne foi quand ils disent vouloir combattre le terrorisme), mais aussi ils jouent avec le feu. Ils entretiennent la peur, qui est si mauvaise conseillère. Ils font le jeu de certains autres extrémismes, qui nous concernent au premier chef. Ils transforment la peur en une « menace » intangible et incertaine, comme une gigantesque épée de Damoclès qui pendrait au-dessus de nos têtes et qui obscurcit l’horizon.

Il est vrai que l’État Islamique est une menace. Une menace pour la liberté, la culture et toutes ces valeurs qui nous tiennent à cœur. Mais j’ai l’impression que la seule façon que nos élites ont trouvé pour répondre à cette menace, c’est une autre menace encore plus grande contre nos valeurs. Ils emballent cette menace dans des discours qui sont marqués par la peur et l’émotion, empêchant tout débat.
Pour ma part, j’aimerais pourtant qu’il y ait un débat constructif autour des mesures qu’envisage apparemment notre gouvernement. Dans l’interview qu’il accorde à RTL-TVI, Charles Michel explique sans ciller que nous allons « devoir dans les prochains mois, et peut-être même dans les prochaines années élever les initiatives de contrôles d’identité, de contrôles des bagages pour tenter de réduire le risque terroriste. » Si elles fonctionnent parfois, les mesures évoquées ici sont d’une rentabilité douteuse autant en temps qu’en argent.
Ici, l’idée est simple au possible. Puisque certaines personnes profitent de la liberté de circulation pour commettre des actions néfastes, il faut réduire et contrôler cette liberté afin de se protéger, même si cela doit pénaliser le plus grand nombre. Monsieur le Premier Ministre, tout ce que vous pouvez faire après un incident comme celui-ci, c’est profiter de cette chance qui vous est donnée afin de déjouer les plans des complices que cet homme pourrait avoir. Ce que vous ne pourrez jamais faire, par contre, c’est prévoir l’imprévisible. Et ce que vous ne devriez jamais faire, c’est profiter de la stupeur générale pour passer des lois liberticides dans l’urgence comme l’ont fait nos voisins français après les attentats de janvier. Pour la plupart, ces lois ne servent à rien d’autre qu’à nous rassurer, parfois au prix de nos libertés qu’elles grignotent chaque fois un peu plus.

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4 réflexions sur “Tragédie et carnage

  1. Angélisme quand tu nous tiens!… Cet enfant de « cœur » avait quand même 9 chargeurs de munitions avec son arsenal …alors bien sur, on peut se borner à dire que rien n’est arrivé. Ne serait- ce cependant pas ici un bel exemple de ce que l’on nomme la politique de l’autruche?…
    Personnellement ce qui me fait peur c’est ce refus de voir la réalité en face, le manque de réalisme et de clairvoyance.
    Si massacre et tragédie sont de grands mots …lois liberticides ne le sont-ils pas aussi dans ce cas de figure? Mes bagages sont contrôlés lorsque je prends l’avion je ne le ressens pas comme une atteinte à mes libertés !

    • À aucun moment je ne dis que la menace n’a pas été réelle et que le danger d’une tuerie n’a pas existé. Je pointe du doigt les mots employés (carnage, tragédie, etc.) dans les médias. Je n’ignore pas non plus qu’il existe des menaces, mais je trouve juste que consacrer 2/3 d’un journal télévisé semble un peu disproportionné, puisqu’il n’y a pas eu de conséquences à cet incident.
      Quant aux mots « lois liberticides », ils m’ont l’air appropriés, puisque les propositions de Charles Michel visent clairement à réduire certaines libertés (dont celle de circulation ; il s’est d’ailleurs fait taper sur les doigts par la commission européenne) dans le but de nous vendre plus de sécurité.
      Personnellement, quand je ne peux pas emporter avec moi du gel douche, une bouteille d’eau ou d’autres choses, je me sens contraint. Je cède néanmoins à cette contrainte, parce qu’on me dit que c’est nécessaire pour assurer la sécurité du vol. Pourtant, je ne sais pas très bien dans quelle mesure cela sécurise mon voyage, puisque les détournements et autres attentats dans l’aéronautique se font rarement à l’aide d’explosifs.
      Pour moi, il ne faut pas rester passif face à ces événements, mais je pense que les réactions de nos élites font plus de mal que de bien…

      • D’abord, rien ne vous empêche de prendre votre  » gel douche » dans votre bagage si vous prenez le train; en ce qui concerne le transport aérien , rien ne vous empêche de prendre votre  » gel douche » dans le bagage que vous mettez en soute… Je ne comprends donc pas bien en quoi le fait d’emporter ou pas son  » gel douche » représente quelque chose de  » liberticide ».., il suffit finalement d’avoir un peu d’organisation…
        Par ailleurs, permettez moi, mon cher Alexis, d’imaginer ne fut ce qu’un court instant ce qu’aurait pu être votre commentaire si vous, ou un des êtres qui vous sont proches eût été dans la rame 12 du Thalys en question et si de plus le scénario catastrophe ( qui était quand même à deux doigts de se réaliser) eût été commis par le terroriste musulman embarqué… J’imagine que votre discours eût été dans ce cas essentiellement différent…
        N’oubliez jamais que ce ne sont pas les terroristes de quelque bord qu’ils soient qui changeront le monde ,mais plutôt l’inertie et l’indifférence de l’immense majorité silencieuse qui ne veut pas voir la réalité en face…
        Que vous le vouliez ou non, nous sommes bien malgré nous embarqués dans une guerre ( sainte.. Les pires…) que nous n’avons pas souhaitée mais que d’autres ont décidé pour et malgré nous. Cette guerre, larvée et traîtresse sera , avec des réponses telles que la vôtre, l’héritage malheureux que vous , et ceux qui pensent comme vous, laisserez à vos ( nos ) enfants et petits enfants..
        Que cela vous plaise ou non, ce n’est pas mon choix de fermer les yeux et j’ai aussi le droit de vous dire que votre commentaire relatif à la condamnation de l’atteinte à nos libertés et au fait de propager des peurs irréalistes me semble d’une déplorable naïveté …
        Les vrais peurs sont celles que précisément veulent nous faire subir les terroristes islamistes dont j’espère pour vous , ne se retrouveront o jamais sur votre chemin…

        • Tout d’abord, s’il faut s’organiser à cause d’une loi, cela prouve que nous n’avons pas toute liberté, puisque nous devons modifier notre comportement simplement pour nous conformer à la loi. C’est un détail, mais c’est le genre de détail qui a son importance.
          Si moi ou un de mes proches s’étaient trouvés dans le Thalys ce jour-là, j’aurais probablement réagi différemment, sous le coup de l’émotion. C’est justement le fait que je sois peu concerné qui me permet d’analyser la situation de façon objective. C’est également ce que je demande à nos dirigeants politiques. Il ne me viendrait pas à l’idée de demander à des proches de victimes de tueurs en série de créer un comité de rédaction de loi sur la peine de mort. Et vous ?

          Les terroristes changent le monde, tout comme la « masse silencieuse ». Il suffit de voir les conséquences pour le monde entier des actions des quelques hommes qui ont fait s’effondrer les tours jumelles le 11 septembre. Ou de voir l’évolution des mentalités sur les droits des femmes dans les esprits des millions de personnes ces dernières décennies. Ce sont deux changements majeurs, et ils sont le fait des terroristes pour le premier et de la « masse silencieuse » pour le second.

          Je ne comprends pas en quoi ma réaction crée un « héritage malheureux ». Dans cette « guerre » que vous décrivez, notre arme devra être la raison, en se gardant bien de céder à la peur. La raison, est-ce un héritage malheureux ? Si oui, doit-on leur léguer la déraison ? Je ne vois pas en quoi je ferme les yeux. Il me semble au contraire que je les ouvre en grand et que j’essaie de garder mes capacités d’analyse intactes malgré les circonstances.

          Quoi qu’il en soit, je ne suis pas d’accord avec vous pour qualifier cette situation de guerre. Quand un seul camp en attaque un autre, cela ne s’appelle pas une guerre. Cela s’appelle une folie. Et je ne suis pas prêt à rejoindre ces gens dans leur folie…

          Instaurer un climat de peur permanent est le but des terroristes. Faut-il dès lors céder à cette peur et leur donner satisfaction ? Faut-il créer la peur là où elle n’a pas de raison d’être ? Devons-nous enfermer dans des bunkers en craignant sans cesse le pire ?

          En bref, je ne comprends pas vraiment de quoi vous m’accusez, cher M. Verschelden. De faire le jeu des terroristes en analysant les faits et en évitant de céder à la panique ? De sombrer dans la parano en considérant que les lois passées par les gouvernements ne servent à rien d’autres qu’à mieux contrôler les citoyens ? Les comportements alternatifs (la peur et l’acceptation de tout pour s’en préserver) me semblent moins judicieux que ceux que j’ai décidé d’adopter.

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