Le jeune Álamo ressemblait à bien d’autres jeunes de son âge. À vingt-cinq ans, il avait un diplôme universitaire et était au chômage. Il ne s’en faisait pas pour autant. Il avait l’insouciance – d’aucuns disent le cynisme – de sa génération. Il savait que les beaux jours étaient partis et ne reviendraient plus, que le plein emploi était un Éden dans lequel avaient vécu ses parents, mais dont seul le souvenir existait encore. Que le temps des cerises était passé. Mais de tout cela, il s’en foutait.
Il savait que le travail n’était que du temps transformé en argent par quelque procédé alchimique dont il ne comprenait pas toutes les subtilités. Mais ce qu’il savait, c’est que, de temps, il n’en manquait pas. Il avait tout le temps du monde et s’efforçait de le dépenser avec parcimonie.
Il passait donc ses journées à marcher dans les rues de sa ville, attendant de tomber sur des connaissances pour boire le maté avec eux. Parfois, il discutait d’ami en ami sur n’importe quel sujet. Parfois, il lézardait au soleil. Parfois, il s’arrêtait au milieu de nulle part pour savourer le goût des secondes qui défilaient face à lui. Il les comptait sur ses doigts en silence avant de repartir vadrouiller d’un pas égal.
Mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était d’aller se promener dans les parcs, dans les bois ou dans les forêts juste avant les pluies chaudes d’été. Quand il sentait en lui qu’une averse se préparait, il partait à la recherche d’un arbre au feuillage dru qui lui pourrait lui servir d’abri. Il écoutait les premières gouttes de pluie tomber au sol. Il fermait les yeux et humait l’air se gorger d’eau. Il goûtait ce plaisir délicat avec délectation. Souvent, il s’assoupissait, bercé par toutes ces sensations, heureux comme avec une femme. Lire la suite
Prisonnier
Agrume
Tous les jours, on remettait au prisonnier Álamo l’orange que lui apportait sa sœur. Depuis des années, elle accomplissait ce petit rituel avant d’aller travailler en ville. Lui, il gardait l’agrume à l’ombre fraiche de sa cellule jusqu’à ce que le soleil atteigne son zénith. À ce moment seulement, il la pelait pour ensuite en déguster la chair et le jus dont il ne perdait pas une goutte. C’étaient les meilleures oranges de la région.
Le reste de sa journée, il le passait à observer les allées et venues des citoyens libres. La prison se trouvait légèrement en surplomb et dominait une partie de la cité grouillante. Tout le jour, il sculptait dans du bois d’oranger des chevaux ailés qui suffisaient à payer la nourriture qu’on lui servait. Il y travaillait jusqu’à ce que la chaleur moite des rayons du soleil couchant le cloue à terre. Alors, c’était le moment pour lui de rejoindre la chorale avec sa voix de basse aux accents indigènes.
Ainsi allait la vie de condamné. Une vie pas pire qu’une autre, à bien y réfléchir. Ce qui manquait le plus au prisonnier Álamo, c’étaient les balades dans les forêts, pieds nus sur le sol humide de pluies d’été. Depuis de nombreuses saisons, il devait se contenter de l’odeur des gouttes sur les mousses gorgées de soleil. Dans ces moments-là, un sentiment de nostalgie se saisissait de lui. Lire la suite