Agrume

Tous les jours, on remettait au prisonnier Álamo l’orange que lui apportait sa sœur. Depuis des années, elle accomplissait ce petit rituel avant d’aller travailler en ville. Lui, il gardait l’agrume à l’ombre fraiche de sa cellule jusqu’à ce que le soleil atteigne son zénith. À ce moment seulement, il la pelait pour ensuite en déguster la chair et le jus dont il ne perdait pas une goutte. C’étaient les meilleures oranges de la région.
Le reste de sa journée, il le passait à observer les allées et venues des citoyens libres. La prison se trouvait légèrement en surplomb et dominait une partie de la cité grouillante. Tout le jour, il sculptait dans du bois d’oranger des chevaux ailés qui suffisaient à payer la nourriture qu’on lui servait. Il y travaillait jusqu’à ce que la chaleur moite des rayons du soleil couchant le cloue à terre. Alors, c’était le moment pour lui de rejoindre la chorale avec sa voix de basse aux accents indigènes.
Ainsi allait la vie de condamné. Une vie pas pire qu’une autre, à bien y réfléchir. Ce qui manquait le plus au prisonnier Álamo, c’étaient les balades dans les forêts, pieds nus sur le sol humide de pluies d’été. Depuis de nombreuses saisons, il devait se contenter de l’odeur des gouttes sur les mousses gorgées de soleil. Dans ces moments-là, un sentiment de nostalgie se saisissait de lui.

Le cœur de cette histoire débute avec le transfert d’Álamo dans une cellule qui donnait directement sur la rue. Prisonnier modèle, n’ayant jamais tenté de se soustraire à sa condition, acceptant avec une résignation exemplaire sa peine, il bénéficiait de quelque attention bienveillante des geôliers. Il disposait dorénavant d’un couteau aiguisé pour travailler le bois. Il était presque heureux. Même les jours de pluie lui devenaient plus supportables.
Un jour, au matin d’une pluie particulièrement agréable, sa sœur laissa un agrume différent. Il n’y avait plus d’oranges dans tout le pays : on les revendait neuf fois plus chères aux Européens qui en étaient friands et en faisaient des jus. On lui remit le fruit. La pluie tomba. Il ne résista pas et s’évada. Grâce à cette lime apportée par sa sœur.

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2 réflexions sur “Agrume

  1. j’apprécie beaucoup de voir la concrétisation du fil rouge ( ou orange 😉 ).
    l’appel de la liberté…belle nouvelle pleine de petits moments simples.
    J’ai beaucoup apprécié la lecture :).

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