Ochlophobie, ou le mal du citoyen

Dans quelques poignées d’heures, nous, Belges, allons voter. Pour des amis, pour des gens en qui nous avons plus ou moins confiance, pour des inconnus dont les idées nous plaisent. Nous allons parfois voter contre quelqu’un qui a déplu. Certains refuseront de voter et choisiront une des faibles alternatives que le système propose. Mais dans la majorité, les gens vont se déplacer pour essayer de faire bouger les choses dans le sens qui leur semble le plus important. Il s’agit ici du niveau de la pyramide politique le plus bas : on touche au quotidien.
Pour cette raison, les élections communales sont des élections importantes. Tellement importantes qu’elles mènent à un déballage de tronches dans toutes les rues, dans toutes les avenues, sur tous les boulevards. Ils se tapissent de dizaines de couleurs. Comme un feu d’artifice inutile. On remarque que certaines rues ont une dominante. On vote par familles, par quartiers, par villes. On vote parfois pour une liste parce que d’autres votent déjà pour elle. Ce qui est un acte de confiance se transforme en une routine vite torchée. On vote pour faire plaisir, comme si de rien n’était. On vote pour justifier le sourire niais des affiches. Eux qui montrent les dents. Ils ont l’air si contents qu’il faut bien donner un sens à cette farce.
S’il n’y avait pas la piètre qualité des dialogues, ce serait presque du niveau d’une mauvaise série télévisée. On s’y retrouve, au milieu d’une telle démonstration collective de narcissisme, d’arrogance et de mesquineries. Le sourire doit être plus brillant que les idées. Il faut faire preuve d’une confiance inébranlable. On ressort sa plus belle hargne. On grogne. On s’engueule. On gronde. On tonne. On montre les dents. On jongle avec les chiffres. On fait de très beaux tours de passe-passe. On distrait. Personne ne doit se rendre compte qu’on promet tout et son contraire : sécurité et liberté, protection des riches et défense des pauvres, plein-emploi et hausse des salaires. On promet la facilité parce qu’elle est facile à croire. Et pour mieux faire passer la pilule, on réconcilie les ennemis d’hier. Le plus souvent, le socialiste avec le libéral. Preuve ignorée de la futilité des programmes.
Et puis, de toute façon, les idées ne sont que secondaires. Il ne s’agit ici que d’un gigantesque concours de popularité. On joue à celui qui a la plus grosse croissance ou le plus beau bilan. On serre des mains, on écoute les problèmes des petites gens, on jure ces grands dieux, on rassure les petits vieux. On descend dans la rue. Après tout, si le peuple a le droit de le faire, pourquoi pas l’élite de la nation ? Ils ont raison de le faire, puisqu’ils ne risquent pas de se faire tabasser par la flicaille, eux.

Et si on souffre d’ochlophobie, alors tant pis. Il faudra encore supporter quelques jours ces regards tellement sympathiques qu’ils en font peur. Il faudra encore lire ces noms qui font des rues des bottins gigantesques et bigarrés. Il faudra attendre de pouvoir voter, pour que cette mascarade cesse, avant de recommencer.

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