Les idées n’appartiennent à personne.
Ce serait faire preuve d’un orgueil démesuré que de penser le contraire. Après tout, une idée, ce n’est qu’un rien insaisissable. Juste le résultat de la lente macération des expériences, des sentiments, des influences et d’autres choses qui font ce que chacun est. On n’est jamais le seul à avoir l’idée que l’on croit unique et qui effleure les hémisphères. On ne fait que puiser dans le pot commun des connaissances et si on peut donner, c’est seulement parce qu’on a reçu.
La création ne naît pas de nulle part. Mettre au jour une œuvre personnelle, c’est chercher à mettre en contact une part de soi – une partie de son être – avec celle d’autres. Et c’est par un phénomène de résonance que les choses avancent.
Qui pourrait oser museler ce concert millénaire sans remords ? Qui oserait faire taire les voix qui inspirent et font avancer le monde ? Peut-être un homme aveugle. Aveuglé par l’argent, par la célébrité, par un désir de revanche, par quelques sombres motivations. Je ne cautionne pas cette envie d’allumer une lumière tout en ayant la volonté de laisser un maximum de personnes dans l’obscurité la plus noire. Je ne comprends pas. Mettre des idées en cage, ce serait comme mettre en cage des oiseaux sauvages. Je ne comprends pas.
C’est parce qu’on découvre en marchant le concerto de gazouillis improvisé qui se trouve perché dans un arbre que l’on est sous le charme. Et le fait aussi que n’importe quel passant puisse en jouir tout aussi pleinement que soi-même on l’a fait avant.
Les idées appartiennent à tout le monde.
Dès le moment où l’idée m’est sortie de la tête, elle ne m’appartient plus. Je reste responsable des dégâts qu’elle pourrait faire mais je ne dois pas attendre de remerciements pour le bien qu’elle pourrait faire. S’il existe des droits pour l’artiste, ce qui doit être son devoir, c’est ceci : le respect du public et la modestie.
L’œuvre se serait probablement réalisée sans le truchement de notre cerveau. Un autre l’aurait eu, plus tard. Je n’ai été que l’outil de sa maturation. Un instrument. Si l’idée est un fruit, je ne suis que le soleil, la terre et l’eau qui l’ont aidé à mûrir, à tomber et à germer.
Bien sûr, on peut récompenser le travail qui a permis à une idée de réaliser. Mais voilà, on ne récompense pas l’idée ; on récompense le travail – le temps passé et les efforts fournis. Si je vais au restaurant, j’aime payer pour les ingrédients et pour la façon jamais vue de préparer le plat, mais non pas pour la recette, toute originale qu’elle soit. À l’artisan, je veux bien payer pour la matière-première, pour le tour de main et pour tout ce que le créateur a dû apprendre pour parvenir à ce résultat mais sûrement pas pour l’idée qu’il a eu un jour d’agencer le tout d’une façon unique.
Et tout est encore différent avec l’internet.
Sur la toile qui relie quelques milliards d’internautes entre eux, on dématérialise : musique, photographie, littérature, cinéma, etc. Mais aussi argent. Cet argent qui ne sert plus qu’à se nourrir, à se loger et à s’instruire. Ou en tout cas, ne devrait servir qu’à cela. Mais des trois, l’instruction seule est secondaire. Alors, quand on n’a plus d’argent, que faire ? Refuser de s’abrutir par manque d’argent : prendre sans rien donner en échange. Au début. Mais, fort de ce capital que l’internet permet de construire à partir d’une matière invisible, on se construit soi-même. Et sur ce que l’on est, d’autres peuvent s’appuyer pour à leur tour grandir et pousser.
Recevoir sans donner pour ensuite donner sans recevoir.
Et même si je me trompais, qu’il n’y avait qu’une seule personne au monde qui agit comme je le dis, elle mériterait qu’on n’interdise jamais le partage des idées. Pour que l’inspiration ne meurt pas. Pour que la création ne s’arrête pas. Pour que les idées restent libres.
Très convaincant, comme je le disais. J’admets que l’idée est tentante…
Néanmoins, pour ça, il faudrait que les êtres soient respectueux entre eux, et envers les idées…ce qui, malheureusement, n’est pas encore d’activité.
Vous avez raison: la connaissance appartient à toute l’humanité. Beaucoup de gens sont tourmentés par l’inégalité et par l’injustice mais chacun lutte à sa manière.