Retraite OKLM
Chronique des jours de confinement à l’époque du coronavirus
Retraite OKLM #26
La pleine lune a été pour moi l’occasion de m’échapper. Dans la nuit de mardi à mercredi, je suis parti à vélo dans les rues désertes de Bruxelles, je suis parti. Roulant à vélo, je n’ai croisé personne, si ce n’est quelques patrouilles de police et des travailleurs matinaux dans des transports en commun.
Bertrand Piccard le dit : « Il faut vivre dans l’instant présent. Il faut se connecter à soi-même, sur sa sensation d’exister dans son corps, dans la sensation du moment présent, dans ce qu’on fait, dans ce qu’on pense, dans ce qu’on dit aux autres, dans ce que les autres nous disent. Et ce qui est assez spectaculaire quand on arrive à faire ça, c’est que le temps ne compte plus. » Il y a de ça dans la contemplation béate de la lune, à travers mes jumelles. Ce monde lointain et vide m’a permis de m’arracher à la gravité de la situation. Assis dans une des rues du campus de l’Université Libre de Bruxelles, vidée de son animation coutumière, j’ai pu m’évader.
Je profite également du beau temps ainsi que de la chance d’avoir une terrasse pour planter la tente. À force d’être tout le temps coincé entre quatre murs, j’en viens à ressentir une certaine forme de claustrophobie. Entendre les sons de la nuit est une expérience nouvelle en pleine ville. Pourtant, ces sons servent de points d’appui à une pensée qui sans cela risquerait de partir à la dérive.
En attendant, je fais comme tout prisonnier : je garde ma colère bien à l’abri dans un coin de ma tête. Quand nous pourrons sortir enfin, je trouverai bien un moyen d’en faire un outil apte à faire changer le monde.
Retraite OKLM #24
Retraite OKLM #23
Une balade dans la ville qui, toute confinée qu’elle soit, laisse le soleil printanier la réchauffer. Pour la première fois, nous avons véritablement le temps de voir la vie palpiter, jour après jour. Ces branches qui avaient l’air mortes la semaine passée commencent à se couvrir de feuilles tendres et de fleurs. Dans les rues désertées par le trafic automobile, les voisins discutent à distance, prenant des nouvelles, ou se découvrant, tout simplement. Pendant un instant, on goûte le présent comme une liqueur.
Cela ne nous empêche pas de nous souvenir que nous sommes dans l’œil du cyclone et que les mois qui suivront seront plein de changements et de lutte. Le gazouillis des oiseaux ne couvre malheureusement pas les tremblements du vieux monde qui essaie de grappiller quelques instants de sursis. La nature qui renait doit porter un message d’espoir, mais aussi nous rappeler que c’est tout ce que la société productiviste veut détruire.
À nouveau, la Bête a chancelé. Nous ne ferons pas la même erreur qu’en 2008 et nous devrons en profiter pour la blesser du mieux que nous pourrons. Profitons des nouvelles ardeurs du printemps pour alimenter le feu qui est en nous, qui servira à consumer la société de consommation.
Retraite OKLM #21
Cette journée passe sous le sceau du stress.
Suite à mes interventions sur la grève des loyers, il est plus que probable que je me retrouve demain matin sur un plateau de télévision pour faire valoir mon point de vue, face à un président d’un syndicat de propriétaires. J’ai enseigné à mes élèves il y a un moment déjà ce que doit être un débat. Je sais que ce n’en sera pas un. Il n’y aura pas d’échanges d’idée, demain. Je dois me saisir de ce moment qui m’est donné pour transformer l’espace en tribune.
Il y a une semaine encore, je me demandais comment je pourrais faire pour changer le monde. Hier encore, je considérais que la simple écriture était déjà suffisamment révolutionnaire. Et voilà qu’aujourd’hui, je me rends compte qu’il est possible de diffuser au pays entier un message concernant cette société mortifère. Je sens comme un poids sur ma poitrine et pourtant je suis certain de n’être pas touché par ce virus.
Il nous revient de mettre en place une « propagande par le fait », comme le disait Louise Michel : faisons tout notre possible pour déjà agir comme si nous étions dans ce monde de demain que nous rêvons. Montrons la voie et surtout, rendons nos actions publiques. Ne pas se taire sera déjà un premier acte de résistance. Bien sûr, il nous faudrait faire des compromis. Tant que nous vivrons dans ce système, nous sommes complices malgré nous. Mais qu’importe : cela ne fera que rendre notre colère plus grande.
Tu sais, j’ai encore en tête les mots de Pablo Iglesias, le chef de file de Podemos, en 2016 : « César Rendueles, un mec très intelligent, dit que la plupart des gens sont contre le capitalisme, mais ne le savent pas. La plupart des gens sont féministes et n’ont pas lu Judith Butler ni Simone de Beauvoir. Il y a plus de potentiel de transformation sociale chez un papa qui fait la vaisselle ou qui joue avec sa fille, ou chez un grand-père qui explique à son petit-fils qu’il faut partager les jouets, que dans tous les drapeaux rouges que vous pouvez apporter à une manif. Et si nous ne parvenons pas à comprendre que toutes ces choses peuvent servir de trait d’union, l’ennemi continuera à se moquer de nous. »
Nos actions doivent parler pour nous. Mais nous devrons aussi parler de nos actions. Jusqu’à présent, j’ai survécu à la société capitaliste. Je pensais que c’était suffisant pour lutter. Mais peut-être est-il temps de vivre une société post-capitaliste, même si je sais déjà que ce ne sera pas facile.
Retraite OKLM #20
De la réflexion à l’action, le pas peut être difficile.
Quoi qu’il en soit, j’ai fini par passer par-dessus ces messages intériorisés issus d’une société en déliquescence et j’ai appuyé sur la touche « envoyer ». La réponse est venue plus tard et a apporté une bonne nouvelle : mon propriétaire accepte mes revendications. C’est pour moi, une première victoire.
Mais au-delà de cela, un podcast que mon frère m’a partagé me permet d’intégrer quelque chose dont j’avais déjà l’intuition : « Pour ceux d’entre nous qui ne peuvent pas monter au front — et ce sera la plupart d’entre nous — notre travail consistera à créer une culture qui encouragera et promouvra une organisation politique, et une résistance tenace. » Elle fait écho à toute une série de phrase qui résonnent constamment en moi, chaque jour avec plus d’intensité. Si j’avais des poutres apparentes dans ma mansardes, j’en ferais des sentences. Que ce soit les mots d’Arthur dans la série Kaamelott : « J’ai raté, mais je veux pas qu’on dise que j’ai rien foutu, parce que c’est pas vrai. » Ou Amanda Fucking Palmer et quelques mots jetés à son public : « It doesn’t matter if it’s good. It just matters that I made something. » (« L’important n’est pas que ce soit bon. L’important est simplement que j’ai fait quelque chose. »)