Retraite OKLM #12

Nous arrivons au terme de cette deuxième semaine de confinement et il se murmure partout que nous resterons entre nos murs quelques temps de plus que ce qui était initialement prévu. Petit à petit, j’arrive à réduire le flux d’actualité. Après une phase de boulimie durant laquelle je voulais tout savoir pour être mieux préparé, j’en arrive à un point où je ne lis plus les infos que de façon intermittente.
Cela me laisse plus de temps pour lire des textes plus denses. Page par page, même si je me suis déshabitué, ces dernières années à ce genre de lecture. Aujourd’hui, je « consomme » de la littérature. Des articles de presse, beaucoup. Pas besoin de mâcher : quelqu’un s’en est déjà chargé à ma place. Je me retrouve dès lors avec une pensée simplifiée, facile à digérer. C’est comme si j’avais intégré que l’effort doit être minime, pour que l’assimilation soit efficace. C’est une façon de voir les choses, avec un regard tourné vers la quantité plutôt que la qualité.
Simplification de la littérature, et donc simplification de la pensée. Je n’en suis pas là, mais qui sait ? Ma peur est qu’avec ce mode de lecture, je me retrouve avec un raisonnement binaire : d’accord ou non. Enfermé dans ma bulle de perception, me nourrissant de lectures sans valeur et m’étiolant petit à petit.
Ces considérations sont liées à ma classe, certainement. J’ai le bagage culturel et intellectuel pour me lancer dans des lectures « savantes ». Même si je bute sur des textes de Michel Foucault, je parviens tout de même à tirer du sens de ce que je lis. Cela, je le dois à un tas de choses qui me sont externes. Il y a dans toute mon éducation une certaine estime de la littérature, de façon générale. Il ne faut pas que j’oublie qu’il s’agit d’un privilège. En faisant une brève recherche, j’apprends que 70 % des ouvriers et des agriculteurs n’ont lu aucun livre durant l’année 2012. Cela ne veut pas dire qu’ils ne lisent rien. Ils lisaient de la presse il y a dix ans. Ils lisent sans doute des articles en ligne aujourd’hui.
Dans le monde dans lequel nous vivons, la littérature n’a plus l’impact qu’elle avait autrefois. Elle passe derrière bien d’autres médias en tant qu’art ainsi qu’en tant que vecteur d’information (en ce compris l’idéologie politique). En un siècle, la littérature a perdu ses lettres de noblesse et est devenu un bien de consommation. C’est tant mieux, ceci dit : il y a deux cents ans, je n’aurais sans doute pas eu accès à cet outil d’émancipation. Pourtant, à l’heure où il n’a jamais été si simple d’écrire et de diffuser ce que l’on écrit, je me mets à espérer que nous ferons autre chose de ce moyen d’expression.
Quel est l’avenir de la lecture ? Notre société de consommation ne nous donne plus le temps de nous plonger dans des œuvres complexes, difficiles à lire, demandant de la réflexion et des outils de pensée pour être comprises. D’un autre côté, on voit bien les effets pervers de cette littérature prémâchée : elle ne permet pas des raisonnements nuancés. Et on s’étonne que les thèses complotistes fleurissent partout.
Je n’ai pas de conclusion à ma pensée. Je pose simplement ce constat : en plus de nous priver de beaucoup de nos libertés, notre société nous enlève également des outils de pensée essentiels pour nous élever et mieux comprendre le monde qui nous entoure. C’est dans son intérêt : il faudrait faire des travailleurs des machines. Mais c’est oublier que les êtres humains sont des machines imparfaites. Il est plus que probable que cette machine aux engrenages plein de biais finisse par se gripper.

Comment ? C’est ce que nous verrons, peut-être plus tôt qu’on ne le croit.

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Retraite OKLM #11

Hier, j’ai voulu parler de politique, mais la fatigue m’a rattrapé. Une balade d’un peu plus d’une heure en compagnie de la femme que j’aime aura suffit à nous épuiser au-delà de ce que nous aurions cru.
Pas grand-chose à dire de cette balade, si ce n’est que nous nous sommes amusés à nous arrêter devant les enseignes fermées ou ouvertes d’une rue commerçante. Un glacier, une boucherie, des supermarchés, tout cela est ouvert et contraste avec les lumières éteintes des restaurants, des snacks, des magasins de vêtements, etc.
Arrivés au parc Meudon, nous ne nous sommes pas attardés. Quel plaisir y a-t-il réellement à se promener si on ne peut pas se poser ? Or, tous les bancs sont ornés de banderoles en plastique aux couleurs rouge et blanc, indiquant visiblement qu’il est interdit de s’arrêter. Les parcs sont devenus aussi vains que les gares, les centres commerciaux et tous monuments de la culture libérale. Dorénavant, il faut circuler et ne pas s’arrêter. Mais bon, je ne parlerai pas de politique aujourd’hui.
Nous ne nous sommes pas arrêtés pour goûter à l’air frimassant de la fin du mois de mars. Nous avons fait demi-tour et sommes rentrés chez nous, entre nos murs familiers.
Pour le reste, je me suis occupé de mon jardin, suivant les préceptes voltariens. J’ai passé ma cour au karcher, dans la droite ligne de la pensée sarkoziste. Puis, qui sait, l’appareil servira peut-être encore une fois le confinement passé, histoire de nous débarrasser de toute la racaille qu’on a au gouvernement (et dans l’ombre de celui-ci, faudrait pas oublier les grands patrons). Mais bon, je ne parlerai pas de politique aujourd’hui. Il me reste encore une partie des escaliers à nettoyer, après quoi je prêterai la machine à la voisine.
Enfin, je ne l’ai pas encore mentionné en ces lignes, mais outre l’écriture, il est un autre art créatif avec lequel je renoue : la cuisine. Toujours sans recette, à l’inspiration, j’aime couper, cuire, surveiller, doser. Le tout pour un résultat concret et réjouissant.
Globalement, les choses se passent plutôt bien dans ma vie en confinement. Je me rends seulement compte que ce qui me manque le plus, c’est d’avoir prise sur le monde. L’impuissance face à ce qui se passe pour l’instant partout autour de moi me met en colère. Mais bon, je ne parlerai pas de politique aujourd’hui.
Je vais couper les réseaux sociaux, fermer les sites d’actualité et lire. Des ouvrages politiques, je pense.

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Retraite OKLM #10

En ces jours difficiles, je me raccroche à ce que je peux pour maintenir mon moral à flot. Je me réjouis, par exemple, de ne pas être français ou anglais. Les premiers sont désormais dirigés par un gouvernement schizophrénique, soufflant le chaud et le froid, pris en plein dans ses contradictions. Les seconds doivent subir l’égo surdimensionné d’un homme prêt à croire à ses propres mensonges plutôt qu’admettre qu’il s’est un jour trompé. Par rapport à cela, la Belgique semble bien s’en sortir. Bien sûr, notre ministre n’a pas pris toute la mesure de ce qu’allait être cette pandémie. Mais il semblerait que ce soit un trait commun à la fonction. Après tout, cette histoire a commencé avec un ministre chinois de la Santé dans le déni face à des médecins qui lançaient l’alerte d’une épidémie imminente.

Il n’existe peut-être pas de bonne réaction lorsqu’une telle catastrophe a lieu. Après tout, il s’agit ici de prendre des décisions que personne ne devrait jamais prendre : un pouvoir sur la vie et la mort de milliers de personnes. Les représentants politiques n’ont, en outre, pas plus de connaissance que tout un chacun. Il y a tellement de paramètres en jeu qu’il faut avoir étudié le sujet une vie entière afin de commencer à en comprendre quelque chose. Et même ainsi, l’expertise tient plus de l’art que de la science.

Malheureusement, il est acquis que celles et ceux qui détiennent l’autorité et le pouvoir dans nos régions doivent se vêtir de leurs plus beaux atours. Il faut qu’ils correspondent à l’idéal bourgeois du « dirigeant ». J’essaie d’éviter d’utiliser ce mot, personnellement. Je préfère le terme « représentant ». Quand je vote lors d’une élection, je ne suis pas là pour me choisir mes nouveaux maitres, mais pour trouver celui qui correspond le plus à mes valeurs. Je veux élire quelqu’un qui me représente, mais qui représente également le monde que je désire voir advenir.

Je ne suis sans doute pas le seul dans ce cas-là. Pourtant, par la magie d’une foule de paramètres complexes qui composent notre société, nous nous retrouvons avec des représentants qui ressemblent au monde dans lequel nous vivons, plutôt qu’à celui dans lequel nous voudrions vivre. Et cette société est avant toute chose basée sur la mauvaise foi, refusant de voir la réalité telle qu’elle est plutôt que de se réformer. Depuis presque deux siècles, cette grande machine ignore le coût en vie humaine de son fonctionnement, ignore ses erreurs fondamentales, persiste dans son approche pétée de l’économie, etc.

De plus, toute cette société est hiérarchisée, centrée autour de la figure de l’homme blanc en fin de vie (qui a donc forcément acquis connaissances et sagesse). C’est lui qui détient le pouvoir et l’autorité pour le faire respecter. La société libérale ressemble à un vieil homme : il a peur de l’étranger, peur de l’inconnu, peur de la jeunesse. Et il est prêt à tout pour maintenir son pouvoir. Sil faut mentir, pas de problème. S’il faut se mentir, encore moins de problème. Et si ses décisions entrainent l’ensemble de l’humanité à sa perte, qu’importe, tant que c’est lui qui dirige le navire en train de sombrer.

Le jour où nous élirons des représentants capables d’admettre leurs erreurs autrement que dans un savant calcul politique, nous serons sur la bonne voie. Ce jour-là, nous arrêterons peut-être de les voir comme des super-héros, infaillibles et indestructibles. Par là même, nous leur enlèverons cette pression qui pèse toujours sur leurs épaules, de ne jamais pouvoir échouer, de devoir sauver les apparences, quitte à sacrifier des vies.

Ce n’est pas la première fois que le système libéral échoue, depuis qu’il est aux commandes. Mais c’est la première fois qu’il échoue avec tant de fracas, sans même se l’avouer. Il git au sol, en position latérale de sécurité, et malgré tout se permet encore de donner des ordres. La situation serait comique si elle n’était pas dramatique. À force de chercher à conserver à tout prix une image de contrôle absolu, nos représentants nous prouvent qu’ils en sont au même point que nous : ils ne savent pas ce qui se passe, n’ont de contrôle sur rien, paniquent, pleurent même probablement quand ils sont seuls dans leur lit.

Ils ne valent pas mieux que nous, c’est ce que la situation nous aura prouvé. Dès lors, rien ne nous empêchera, une fois la crise passée, de mettre un point d’arrêt à cette mascarade et de proposer un nouveau modèle de société, dans lequel les représentants seraient de simples citoyens faisant de leur mieux pour prendre les meilleures décisions possibles dans un monde en mouvement incessant.

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Retraite OKLM #9

J’ai la chance d’avoir peu de besoins en ce qui concerne ma vie sociale. Très jeune, j’ai appris à ne pas compter sur la présence irrégulière des autres. Je ne vais pas faire ici mon analyse psychologique, mais je pense que ça a déterminé quelques facettes importantes de mon être ; à savoir tisser des relations dont la distance n’altère en rien la puissance et une fascination pour celles et ceux qui ont en eux des fêlures. Je crois que moi et mes pairs formons ensemble un cluster de marginaux, à des degrés divers. Je n’en connais pas un seul qui soit parfaitement dissous dans la société.
C’est peut-être pour cette raison que, malgré l’horizon des événements qui n’est guère rassurant, j’ai tant confiance en l’avenir. Autour de moi gravitent des gens qui ne seront pas surpris par les soubresauts d’une société agonisante. Ils partagent des valeurs qui me sont essentielles et qui me composent, en des doses variables. Ils me sont autant de phares dans la longue nuit qui se profile.
Ne fut-ce que savoir que ces êtres humains pour la plupart étranges existent me suffit à supporter les épreuves à venir. Quels meilleurs compagnons pourrais-je espérer que des hommes et des femmes qui ne se reconnaissent pas dans le système actuel et que ce même système rejette quand il le peut. Certains souffrent encore de ce rejet, j’y vois plutôt une raison de fierté. Tous et toutes sont les germes qui donneront naissance à ce monde nouveau que j’espère voir advenir rapidement.
Même éloigné d’eux, je me sens fort, rien que de savoir qu’ils sont là. Avec leur aide, je supporterai les soubresauts de la bête agonisante. Et ensemble, nous reconstruirons un monde lorsque l’ancien aura été détruit. Et peut-être même n’attendrons-nous pas la fin de l’ancien pour construire le nouveau.

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Retraite OKLM #8

Nous ne sommes pas en guerre, n’en déplaise à certains.

 

Malgré tout, la situation que nous vivons ressemble beaucoup à une guerre. Nous sommes enfermés, nous sommes seuls, nous avons peur. La société se fracture, chacun essaie de profiter du chaos pour faire avancer sa cause : les uns tentent de supprimer le code du travail, les autres essaient de lancer le « grand soir ». C’est de bonne guerre, après tout.
C’est que cette privation de liberté, on ne la réservait jusqu’à présent qu’à un certain type d’individus : les prisonniers. Aujourd’hui, nous sommes tous prisonniers sans être coupables d’autre chose que de la négligence de nos représentants. Il y a de quoi avoir un goût amer d’injustice en bouche.
Nous sommes ces prisonniers d’une guerre qui n’existe que dans la tête de certains mégalomanes avides de pouvoir. Et pour nous, c’est une épreuve difficile. Nous n’avons en effet jamais connu la vraie guerre (sauf rares exceptions en voie de disparition). Cette guerre faite de sang et de larmes, nous en avons toujours été éloignés. Nous ne l’avons vue qu’à travers des écrans, elle nous a toujours semblé lointaine et intangible. Et tout à coup, nous voici plongés dans l’angoisse et l’insécurité, avec un ennemi qui, nous dit-on n’est nulle part et partout à la fois.
Qui plus est, des dizaines d’années d’une gestion libérale ont infantilisé leurs populations à l’extrême. Cette doctrine, censée mettre l’accent sur les libertés individuelles, se retrouve  finalement à traiter la majorité des êtres humains comme s’ils étaient incapables d’agir librement. Nos gouvernements ont retardé l’annonce le plus possible « car cela aurait pu créer un mouvement de panique ». Et pour les mêmes raisons, le confinement pourrait durer quelques semaines de plus que ce qui est annoncé pour l’instant.
Le corollaire de tout cela, c’est que ces décisions nous plongent dans l’angoisse et dans l’incertitude. Nous revoici dans les mêmes dispositions mentales que ce poilu perdu dans les tranchées, sans comprendre ce qu’il y foutait, envoyé à la mort par quelques personnes qui ne s’approcheraient jamais à moins d’une centaine de kilomètres d’un champ de bataille.
Si les journaux intimes (ou extimes : autres temps, autres mœurs) fleurissent, en cette période troublée, c’est pour les mêmes raisons que les soldats prenaient  la plume en ces mêmes moments : avoir prise sur le réel qui semble se diluer dans l’absurdité totale, témoigner des événements afin de mieux les comprendre et en rendre compte au monde.
Soldat de la Première Guerre Mondiale écrivant une lettre dans les tranchées

Soldat de la Première Guerre Mondiale écrivant une lettre dans les tranchées

Nous ne sommes pas en guerre, et pourtant nous avons l’impression d’en ressentir les effets néfastes. Aucun fusil ne nous sauvera, aucun obus n’éclatera, et pourtant nous vivons au quotidien dans la peur du lendemain.

 

Il n’y a plus qu’à espérer qu’après cette épreuve, nous ferons comme toutes les populations lors des libérations : punir les coupables et construire un monde dans lequel les enfants n’auront pas à vivre ce que nous aurons vécu.

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Retraite OKLM #7

C’est un couvercle sur nos vies. Nous avions déjà l’habitude du ciel gris sur nos têtes, mais cela fait maintenant une semaine que quelque chose de plus lourd encore a assombri nos horizons. Il y a le virus, bien sûr, mais aussi ces mesures prises par nos représentants, pour la sécurité du plus grand nombre. Nous nous plions volontiers à ces règles qui remodèlent entièrement nos vies, pourvu qu’elles permettent d’en sauver d’autres.
Cependant, il y a en moi un sentiment de mal-être, à l’idée que nos élus nous font payer leurs erreurs de jugement. Devrions-nous faire autant de sacrifices s’ils n’avaient pas sabré allègrement dans les budgets des soins de santé ? Devrions-nous nous cloitrer ainsi s’ils avaient pensé au bien-être global plutôt qu’aux risques politiques de décisions difficiles ? Devrions-nous, pour certaines et certains, risquer notre santé s’ils ne craignaient pas plus pour leur sacro-sainte croissante que pour nos vies ?
Le néo-libéralisme tue. Aujourd’hui, plus que jamais. Pendant que les actionnaires comptent leurs sous, nous comptons déjà nos morts. On demande aux plus démunis d’entre nous de faire des efforts, pendant qu’on répare les conneries monumentales qu’ont faites les apprentis sorciers de la finance. Et nous voilà confinés, pour les plus chanceux, et pressés jusqu’à l’os pour les autres. On nous demande de faire des efforts, m ais en font-ils, eux ?
En situation de crise, rien ne fédère plus que le sentiment d’injustice. C’est ce que nous vivons tous les jours, depuis une semaine. Nous avons l’impression que nous sommes les seuls à faire des efforts, nous qui avons si peu, tandis que ceux qui ont tant font tout pour préserver leurs biens. Cette situation risque de devenir explosive, au fil des semaines. Et la colère bouillonnera, même sous le couvercle du confinement. La pression monte. Gare à ceux qui jouent avec le feu de nos vies. Nous brûlons d’une ardeur révolutionnaire et nous réduirons en cendre tout ce qui composait le monde qui nous a tant fait souffrir.
Puisse cette pandémie être l’étincelle qui fera tout basculer et que ces vies n’aient pas été perdues pour rien…

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Retraite OKLM #6

« La romantisation de la quarantaine est un privilège de classe. » Cette photo a été prise il y a quelques jours par un Barcelonais, Jay Barros. Elle vit désormais sa vie sur les réseaux sociaux. Et elle permet de réfléchir à ce qu’est la réalité du confinement en fonction des vies de chacune et chacun.

La romantizacion de la cuarentena es privilegio de clase

La romantizacion de la cuarentena es privilegio de clase – Photo Jay Barros

La Fontaine disait : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » Et sur cette histoire de peste, il brodait avec le talent qu’on lui connait sur les inégalités de classe qui existent dans la société.

Aujourd’hui, en temps de pandémie, on pourrait raconter une autre histoire, celle d’un fléau qui toucherait tout le monde, mais de façon inégale. Aujourd’hui, la Mort semble avoir ôté son bandeau. Il1 choisit ses victimes et épargne celles qui ont de quoi le soudoyer. Dès lors, les pauvres meurent en masse pour sauver les plus riches. Ils travaillent dans des hôpitaux, dans des usines, dans des supermarchés ou d’autres repaires où les pauvres pullulent et grouillent. Leurs maitres ne les voient même plus, habitant à des centaines de kilomètres qu’une chaine de servitude suffit à franchir. Et en ces temps de peste, ils ont fui encore plus loin, allant menacer la vie provinciale pour préserver encore un peu plus leurs confort. Les maitres mourront aussi, mais moins nombreux et moins vite.

Et, comble de l’ironie, ils les enjoignent à utiliser ce temps libre (car ils ne peuvent pas imaginer que ce temps ne puisse pas l’être) pour que ces « salauds de pauvres » se cultivent et en profitent pour améliorer leur condition de vie.

Je sais que ma situation est une chance, en temps normal. Et la crise sanitaire que nous vivons n’est pas l’occasion de rééquilibrer les balances : pour l’instant, rien n’a changé. Le système est toujours aussi corrompu. Il est toujours aussi obscène. On demande à des sans-abris de respecter un confinement impossible pour eux. On leur demande de disparaître, on cache la poussière sous le tapis. Mais il ne s’agit pas de poussière, il s’agit d’êtres humains. La violence des contrôles en France se fait toujours en fonction de la couleur de peau des contrôlés. Les hôpitaux sont obligés de demander l’aumône pour avoir la garantie d’avoir l’infrastructure nécessaire à la survie de leurs patients.

Ces jours-ci plus que jamais, il nous faudrait cultiver notre jardin. Avec ces mots, Voltaire nous invitait à nous retirer du monde pour être heureux, à se plonger dans une activité productive, mais loin de la laideur du monde. C’est le conseil d’un homme misanthrope. Laissons, au contraire, nos jardins en friche et voyons ce qui y pousse. Soyons improductifs et voyons ce qui émergera de cette improductivité. Qui sait, peut-être que de ce chaos naitront des choses inédites et merveilleuses. Je l’ai dit : il faut que ce confinement soit à la source d’une réflexion, sur nous-même mais aussi sur le monde.

Et surtout, cultivons notre rage, pour qu’elle puisse exploser à la gueule de nos représentants et de ceux qui leur donnent, tacitement, des ordres. Lorsque nous sortirons de nos murs, il faudra que la joie soit mêlée de colère, afin de faire trembler les murs de ceux qui se croyaient à l’abri des leurs. Notre fureur sera alors une nouvelle peste qui, cette fois, touchera surtout les dominants !

À tous ceux que le système n’a pas encore libéré : gardez espoir, ce jour viendra.


1 Pour comprendre, lire Terry Pratchett.

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