Acide

C’est le grondement lointain du tonnerre qui me tire de mon sommeil. Je me suis endormi mais j’aurais mieux fait de ne jamais me réveiller. Au moins, je serais mort sans souffrance. Maintenant, je sais que rien ne me sera épargné : ni ma propre fin, ni la perspective de celle-ci.
J’ouvre les yeux sur la fraicheur de la nuit et le silence qui y règne. Du haut de la dune géante où je suis, le désert se dévoile dans toute son immensité. Cette vision ne fait que me confirmer ce que je savais déjà : je suis perdu. Aucun abri aussi loin que porte le regard. Rien pour briser l’horizon. Juste cet erg de sable blanc. Et au dessus de ma tête, des nuages qui commencent à dévorer la Lune. La lumière s’éteint et je me retrouve dans une obscurité totale. Je ferme les yeux. J’attends la suite avec résignation. Inutile de fuir, la mort est déjà partout. Je l’entends qui tombe en bombes silencieuses. Lire la suite

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Agrumes

Le jeune Álamo ressemblait à bien d’autres jeunes de son âge. À vingt-cinq ans, il avait un diplôme universitaire et était au chômage. Il ne s’en faisait pas pour autant. Il avait l’insouciance – d’aucuns disent le cynisme – de sa génération. Il savait que les beaux jours étaient partis et ne reviendraient plus, que le plein emploi était un Éden dans lequel avaient vécu ses parents, mais dont seul le souvenir existait encore. Que le temps des cerises était passé. Mais de tout cela, il s’en foutait.
Il savait que le travail n’était que du temps transformé en argent par quelque procédé alchimique dont il ne comprenait pas toutes les subtilités. Mais ce qu’il savait, c’est que, de temps, il n’en manquait pas. Il avait tout le temps du monde et s’efforçait de le dépenser avec parcimonie.
Il passait donc ses journées à marcher dans les rues de sa ville, attendant de tomber sur des connaissances pour boire le maté avec eux. Parfois, il discutait d’ami en ami sur n’importe quel sujet. Parfois, il lézardait au soleil. Parfois, il s’arrêtait au milieu de nulle part pour savourer le goût des secondes qui défilaient face à lui. Il les comptait sur ses doigts en silence avant de repartir vadrouiller d’un pas égal.
Mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était d’aller se promener dans les parcs, dans les bois ou dans les forêts juste avant les pluies chaudes d’été. Quand il sentait en lui qu’une averse se préparait, il partait à la recherche d’un arbre au feuillage dru qui lui pourrait lui servir d’abri. Il écoutait les premières gouttes de pluie tomber au sol. Il fermait les yeux et humait l’air se gorger d’eau. Il goûtait ce plaisir délicat avec délectation. Souvent, il s’assoupissait, bercé par toutes ces sensations, heureux comme avec une femme. Lire la suite

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Ballade sous la pluie

Ce fut un déluge. Des trombes d’eau tombaient
Comme si le soleil s’était noyé au ciel.
Les longues avenues changeaient toutes d’aspect,
Changées en cascades. Cette pluie torrentielle
Frappait de tout son poids la ville de Bruxelles.
Et partout les passants s’enfuyaient sous les gouttes
Qui martelaient les toits, les mettant en déroute :
Une débandade comme on n’en fera plus.
Ils n’étaient pas bien fiers sur le bord de la route
Et allaient çà et là, tous ces zouaves battus.

Ce fut un déluge. Le pays s’en souvient.
Même la Belgique ne prend pas l’habitude
De subir des draches qu’on dit l’œuvre païen
De ces dieux oubliés qu’on mit en servitude
Un jour de trop beau temps, lors d’un été trop rude.
Tout le long du trajet, sur le pas de leurs portes,
Commerçants résignés et voisins en cohortes
Regardaient l’eau tomber sur ces gens autres qu’eux.
Et sur les grands boulvards, des trams de toutes sortes
Allaient sans s’arrêter, fendant les flots en deux.

Ce fut un déluge. Je crois le regretter.
Maintenant, l’air est pur. Derrière les nuages
Était caché du bleu. Il s’en va éclater
Pardelà nos têtes. Oublié, mon orage.
Ce fut un déluge. J’attends le prochain. Sage.

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