Après le beau temps, l’orage. Cela fait des semaines que le ciel me pèse sur les épaules. À force, je me sentais comme Atlas. Tout le poids du monde sur lui et l’impossibilité de s’en décharger. Comme si ça ne suffisait pas, ce monde s’est rétréci dernièrement. Un énième soubresaut dans la crise covidienne nous force à nous barricader en nous-mêmes. Comme de bien entendu, en compressant le volume social, on augmente la pression au même niveau. Voilà comment je me retrouve, moi simple humain, avec l’impression de porter un fardeau titanesque.
Heureusement, un arc-en-ciel est apparu pour déchirer le ciel. Il annonce la venue des trombes d’eau qui vont enfin tomber sur le monde. Il en faudra, des torrents d’eau pour me laver de toute la fatigue qui pèse sur mon âme. Idéalement, un torrent diluvien, pour me faire oublier la chaude et moite réalité qui me colle à la peau depuis avant même cette canicule. Quand je vois l’enfer que devient année après année la terre, je me dis qu’on aurait peut-être besoin d’un bon déluge pour faire table rase ? Ainsi, nous saurons véritablement ce qu’il y a au fond de chaque être humain. J’ai tendance à penser trouver des trésors de bonté.
On dirait que la sécheresse était avant tout en moi et que la météo n’a fait que lui donner une réalité matérielle. Mais la pluie lave tout, comme dit la chanson. La terre sèche boira cette eau tombée du ciel goulûment, parfois jusqu’à l’indigestion. Nos villes minérales se rafraichiront enfin, après avoir subi les morsures répétées du soleil. Frappé par les gouttes, le bitume diffusera des fragrances enivrantes. Le pétrichor n’est pas un breuvage divin, mais une odeur toute terrestre. Et pourtant, il m’est comme une liqueur d’or. C’est le sang du sol dont je sens l’essence. Est-ce lui qui soigne mes douleurs atlastiques ? Peut-être bien.
Il ne pleut toujours pas. J’entends le bruit des feuilles mortes, desséchées, qui tombent sur le goudron, imitant le bruit de la pluie. Le concert macabre me fait frémir. Memento mori, murmurent-elles. Le poids se fait un peu plus lourd encore. J’ai envie de m’enfuir, de courir loin, mais je n’arrive pas à bouger. J’étais fou de me croire un titan. Je ne suis que tétanisé par ce fardeau surhumain. Les dieux n’ont rien à voir dans cette histoire, pour peu qu’ils existent. Dans un éclair de compréhension, je me rends compte que ces impédiments, je ne les dois qu’à moi-même…
Enfin, le ciel craque et me pleut dessus. Le vent me fouette le corps, comme pour me faire faire pénitence. Mais je n’ai aucun péché à faire pardonner. Pas à ma connaissance, du moins. J’ai déjà bien assez du poids du monde sur les épaules. Je ne vais pas non plus prendre sur moi les souillures du monde. Les épines, je les ai aux pieds, je ne vais pas m’en rajouter sur la tête.
Sans doute à cause de la fatigue, je confonds la pluie avec des larmes que je n’ai pas pleurées. Le sel de ma sueur se mélange à l’eau tombée d’en haut. Je ne pleure pas, mais c’est tout comme : mon visage est trempé et je ne distingue plus rien du monde qui m’entoure.
Je me sens engourdi et pourtant tout dans cette pluie bienvenue apaise et soigne les blessures et les brûlures. J’ai l’impression de respirer pour la première fois depuis longtemps. Les apnées passent et ne se ressemblent guère. Ai-je dormi, tous ces mois depuis mars ? Je n’en sais rien, mais je me sens comateux. Comme fatigué d’avoir trop sommeillé. J’avais besoin de cette pluie pour me réveiller complètement. Je voulais sentir autre chose que ma sueur poisseuse rouler sur ma peau.
Secrètement, j’espère que l’averse se changera en déluge. Je veux qu’elle emporte le monde et moi avec. Je veux me laisser porter par le flux des eaux montantes. Je veux voir l’univers se noyer, et peut-être emportera-t-il avec lui ma fatigue et mes chagrins. Enfin, je me sentirai délesté. Je pourrai flotter indéfiniment. Enfin, après giroiements et errances, je girai sur le sable d’une plage inconnue, seul et loin de tout.
Peut-être, alors, trouverai-je le repos ?