Aznavour avait raison : la misère est plus belle au soleil. Il fait si beau ces derniers jours qu’on en oublierait presque que nous avons une révolution à faire. J’utilise ici le mot « révolution » à défaut d’un autre terme plus adéquat. À mon sens, le mot a un air de trop. Si cet air tombait, peut-être pourrions -nous parler sereinement d’évolution. Car la révolution, c’est ce qui se produit en ce moment : un tour complet pour revenir au point de départ, avec quelques améliorations anecdotiques.
Après tout, c’est logique. Nous avons été confinés pendant deux mois. C’est un peu court pour se défaire de deux siècles d’aliénation. D’autant que ce système dans lequel nous vivons est très confortable. Nous disposons de tout ce que nous désirons, et même de choses que nous ignorions désirer avant que des marketeux nous les présentent sur un plateau en or plaqué. Qu’importe si notre plaisir est construit sur la destruction du vivant. Nous avons réussi à placer des barrières de plastique entre nous et ce monde que nous creusons, pour en déterrer toutes les richesses. Ça fera de la place pour nous dans le trou béant que nous laisserons derrière nous.
Enfin, il est des raisons d’espérer : en Belgique comme en France, les représentants politiques tombent les masques. Il est l’heure de redémarrer la machine (qui ne s’est jamais arrêtée : tout au plus a-t-elle sensiblement ralenti). Pas question d’amener des changements qui pourraient pénaliser les puissants. Comme ils ont tout, ils ont tout à perdre. Après tout, suivant cette logique, ceux qui n’ont rien n’ont rien à perdre, non ?
De toute évidence, nos dirigeants n’ont pas pris de temps pour méditer sur leur existence et le sens de la vie. Preuve qu’en cherchant bien, on peut encore leur trouver un point commun avec les caissières et les soignantes. Il est à craindre que ce soit le seul.
Cette année, il n’y a pas eu de printemps. Au sens politique du terme, j’entends. Les éclosions annuelles ont été décalées, pour cause de coronavirus. Chacun a dû faire ses semis à la maison, à l’abri de ses quatre murs. Je cultive ma colère (et vous n’aurez pas ma haine) et je l’arrose tous les jours. Lorsque nous pourrons nous regrouper enfin, j’espère qu’elle fleurira et même qu’elle portera des fruits, peut-être autant de grenades aux cœurs plein de vigueur.
Plus qu’à espérer que tout ça ne finira pas dans le sang…