Hier soir, nous avons été diner dans le centre de Bruxelles. À trois cents kilomètres de là dans l’espace et à moins de vingt-quatre heures dans le temps, des dizaines de personnes sont mortes, fauchées par la bêtise humaine qui, comme trop souvent, avait pris le masque de la religion pour se justifier. En passant près de la Bourse, il y avait tout de même un frisson qui courait dans nos têtes. Paris, c’est la porte d’à côté. Après les attentats de janvier, la Belgique avait tremblé aussi. Parce que nos frontières ne sont pas des murs (pour l’instant), et que les pays réagissent plutôt comme des corps nus les uns à côté des autres : quand l’un a mal, l’autre souffre aussi.
Pourtant, la vie continue. Ce soir-là, on a peu parlé des événements du vendredi. « Tu es au courant ? Oui, bien sûr, c’est horrible. » Quelques mots, pas plus. On essaie de trouver ce qui a merdé à ce point pour que des Français tuent d’autres Français. La politique carcérale ? La politique sécuritaire ? La politique d’intégration ? La politique d’immigration ? Dans tous les cas, sûrement la politique, en partie. Quoi d’autre ? Nous, peut-être, et tous les autres aussi ? Un manque de dialogue, de compréhension, d’intelligence. Après tout, nous n’avons pas réussi à voir la détresse de ceux qui ont commis ces actes.
Le choc de ces attentats-suicides est double. Il s’agit non seulement d’attentats terroristes, visant à installer la peur dans les têtes de tous, mais aussi de suicides. Ces personnes étaient peut-être instables, mais il y a quelque chose d’extérieur à eux qui les a fait glisser sur la pente qu’ils ont dévalé. Et apparemment, il n’y a rien eu pour les arrêter dans cette chute. D’une certaine façon, ce suicide a été la preuve de notre échec à leur proposer un monde meilleur que celui que des fous de Dieu ont proposé. Ça ne pardonne rien, mais ça rend seulement les choses plus dramatiques encore…
Des minutes de silence ont lieu ou vont avoir lieu. Elles seront utiles pour ceux qui veulent se recueillir. Mais le temps du silence ne devra pas durer. Je pense que plus que jamais, il ne faut pas se taire. Il va falloir parler avec les autres. Essayer de comprendre ces autres de qui l’on a peur, et aller vers eux. Ceux qui pensent qu’il faut défendre à tout prix leur culture contre celles des autres se trompent. Une culture qui n’évolue pas n’a pas de sens. Ceux qui veulent figer la leur à jamais montrent par là leur peur de l’avenir, en se repliant sur un passé que bien souvent ils idéalisent.
Dès maintenant, il ne faut pas nous taire. Il faut parler. Il nous reste une chose à faire : avoir conscience de ce qui se passe et essayer d’agir sur les choses, d’une façon ou d’une autre, en fonction de nos moyens. Ne fut-ce que pour ne pas avoir honte de notre inaction plus tard.