Les nuits sans sommeil

La nuit, le chant des oiseaux me fait peur. J’entends ces mélodies insomniaques qui me gardent éveillé. Mes oreilles se remplissent de ces sons sordides qui débordent jusque dans mes yeux, empêchant mes paupières de se fermer. Je les imagine, ces volatiles, branchés sur secteur, incapables de s’arracher à leurs câbles. Ils continuent, encore et encore, sans jamais s’arrêter, comme autant de disques rayés. Rayant mes nuits sans sommeil. Les sons se répètent encore et encore. Je lutte contre la litanie jusqu’au matin mais ma réalité se délaie. Mon cerveau baigne dans un jus de notes épais qui pénètre dans les moindres méandres de ma matière grise.

Et pourtant, je les comprends : lors de mes déambulations nocturnes, cela fait longtemps maintenant que je ne suis plus accompagnés par le froissement des étoiles. Dorénavant, les lumières froides de la ville m’enveloppent et m’étouffent. Dans mes délires souloscopiques, je ne sais plus s’il fait jour ou non. Je vois et j’entends les oiseaux s’épuiser en vain. Ils piaillent. Ils piaillent sans fin. Les mélodies pénètrent ma matière grise, mais c’est tout mon être qui est grisé par ces pépiements et par ces nuits ensoleillées. Je suis perdu dans cette ville qui ne connait pas le plaisir de ne voir qu’une seule ombre sous ses pieds, lors des nuits de pleine lune.

Je me souviens qu’enfant, je ne pouvais trouver le sommeil dans le noir complet. Il y avait toujours dans ce silence des êtres qui attendaient que je ferme les yeux pour profiter de cette couche supplémentaire d’obscurité pour m’emporter dans les ténèbres. Aujourd’hui, je ferme les volets du mieux que je peux, afin de me protéger des lumières et des bruits de la ville, dans lesquelles il y a bien plus de monstres que je n’aurais jamais pu en imaginer. Le vrombissement des voitures, les klaxons, les rires enivrés des passants, le hurlement des sirènes et surtout – surtout – le chant des oiseaux.

Ce chant qui me fait si peur. Je ressens la folie de leurs vies sans nuits. Leurs accords désaccordés appuient sur ma corde sensible. Tout en chantant, ils dansent sur un fil, et j’attends le jour où j’entendrai tomber à mes pieds des tas de plumes aphones, épuisés de n’avoir jamais vu la nuit se lever.

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Tristan

Ce jour-là, Tristan s’était une nouvelle fois exilé afin d’oublier Iseut, celle qu’il aimait malgré lui. Il était dans une retraite secrète, loin des femmes qui, toutes, lui rappelaient par certains aspects celle qui lui manquait tant. Il regardait la nuit, et ses étoiles qui brillaient sans discontinuer depuis qu’il était né et qui brilleraient encore lorsque son nom ne serait plus prononcé par aucune voix. Ses yeux accoutumés à l’obscurité se posèrent sur l’âtre à côté de lui.
Sa vision se remplit de lumière. Ces flammes qui dansaient, tellement brillantes, le renvoyaient devant la dame de son cœur, sans qu’elle ne soit là. Il croyait pouvoir sentir son odeur de cannelle et de camphre. Il croyait pouvoir la serrer dans ses bras et joindre ses lèvres aux siennes. Il croyait pouvoir entendre son rire, doux comme le chant des oiseaux qu’on entend que là-bas, où le soleil brille plus longtemps et plus fort qu’en nos contrées. Il essaya de se jeter sur elle mais ne put y parvenir. Ce qu’il avait pris pour l’étincelle de son regard, ce n’était que le feu qui brûlait en face de lui, dont les flammes dansaient sans le réchauffer.

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