Tristan

Ce jour-là, Tristan s’était une nouvelle fois exilé afin d’oublier Iseut, celle qu’il aimait malgré lui. Il était dans une retraite secrète, loin des femmes qui, toutes, lui rappelaient par certains aspects celle qui lui manquait tant. Il regardait la nuit, et ses étoiles qui brillaient sans discontinuer depuis qu’il était né et qui brilleraient encore lorsque son nom ne serait plus prononcé par aucune voix. Ses yeux accoutumés à l’obscurité se posèrent sur l’âtre à côté de lui.
Sa vision se remplit de lumière. Ces flammes qui dansaient, tellement brillantes, le renvoyaient devant la dame de son cœur, sans qu’elle ne soit là. Il croyait pouvoir sentir son odeur de cannelle et de camphre. Il croyait pouvoir la serrer dans ses bras et joindre ses lèvres aux siennes. Il croyait pouvoir entendre son rire, doux comme le chant des oiseaux qu’on entend que là-bas, où le soleil brille plus longtemps et plus fort qu’en nos contrées. Il essaya de se jeter sur elle mais ne put y parvenir. Ce qu’il avait pris pour l’étincelle de son regard, ce n’était que le feu qui brûlait en face de lui, dont les flammes dansaient sans le réchauffer.

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Car

« Je pense donc je suis. »
Cogito ergo sequor.

Penser. Penser les couleurs. Penser l’ambiance. Penser le moment. Penser le lieu. Tout penser.
Pour dépenser. De l’argent. Le bel argent. Le doux argent. L’argent immaculé. Du métal contre plus de métal. Ce n’est que du temps solidifié. On en perd pour mieux en gagner.
Il s’agit ici de compenser. Ce vide que l’on creuse pour le mieux reboucher. La vie, ce n’est qu’une série de compensations. L’équilibre n’est jamais atteint. À tout moment, tout peut basculer. Tout le monde ne peut pas être heureux partout en même temps.
Vient le temps de surcompenser. Si un peu d’argent rend heureux, que fait beaucoup d’argent ? L’esprit ne se contente plus du nécessaire. Il lui faut plus : le superflu. Ce qui ne sert à rien est luxueux. Le luxe, c’est la vitrine sur le monde. Le trop-plein est signe de réussite. Les défauts de la pratique sont cachés par mille scintillements.
Toujours être récompensé. Pas de la façon qu’on croit. Par le jugement. Non le jugement divin, intemporel. Le jugement humain, historique. Celui qui donnera la réponse à la question. Cela valait-il la peine de détruire ciel, terre et mer pour un confort tout relatif ?
L’argent, dispensé. Les conseils, dispensés. Les soins, dispensés. L’inutile, évacué. L’égoïsme, oublié. Les idées, matérialisées.
Repensé, le système.

Suivre. Ne plus être. Suivre.
Poursuivre la mode, le temps qui passe, chercher à donner un sens. Consommer. Se jeter à corps perdu dans la société et demander grâce aux nouveaux dieux que nous avons créés à leur image. Des bouches pour avaler. Des gueules béantes.
Suivant l’humeur du siècle, se vêtir d’ors ou de diamants. Laisser les parures réfléchir. C’est un miroir déformant au travers duquel rien n’est laid. Humainement, c’est mourir. Socialement, c’est naître. Faire la lumière dans la nuit. Voir les ténèbres en plein jour.
Exécuter les ordres, ceux qui viennent de nulle part, qui viennent de partout, qui viennent de l’intérieur-même de cet être absurde et autonome qui habite en chacun. Exécuter les opposants à cette doctrine de la Vie. Et tant pis pour la vie si elle ne fait pas partie de cette doctrine. On la supprimera, au nom de la Vie.
Persécuter ceux qui vivent en dehors du monde. Le monde. Le seul qui existe. Celui hors duquel plus rien n’existe. Ils sont l’autre. Ils sont les parias. Pis qu’en bas. Hors. Et lorsqu’il n’y a plus d’ennemi, se poignarder ce ventre qui a toujours faim, qui veut du sang et de l’or. S’attaquer à cet intérieur si plein, puisque l’extérieur est devenu si vide.
Seconde après seconde, éternité après éternité, laisser passer le temps, jusqu’à la fin.
Ensuite ? Plus rien.

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