L’instant magique

Tu ne me vois pas, mais je suis là. Toujours là sans que tu ne me prêtes jamais attention. Ces semaines-ci, tu ne me vois sans doute pas quand je suis dans le Parc royal, assis sur un banc, en train d’attendre. Les musiques du Brussels Summer Festival accompagnent cette attente. Car c’est tout ce que je fais, là ou ailleurs : j’attends.

J’arrive généralement après avoir mangé. En hiver, je viens avant. Je m’assieds et je compte les minutes et les secondes qui me séparent du moment que j’attends. Parfois, j’observe les passants : des jogueurs solitaires, des couples énamourés ou des groupes d’amis en sortie pour fêter la fin de l’été. Je discute aussi avec tout ce que compte la ville de clochards et de vagabonds. Ils me donnent des nouvelles de ce Bruxelles que beaucoup de Bruxellois ignorent. Je les écoute, mais toujours d’une oreille distraite. Je m’en voudrais de rater mon miracle quotidien.
Quand j’ai beaucoup de temps pour attendre et qu’il ne se passe rien d’intéressant, je regarde passer les femmes dans la pénombre grandissante. J’admire cette jolie rousse aux cheveux couleur soleil couchant, ou celle-ci dont j’ignore tout sauf ce rire que nul ne pourrait ignorer, ou encore celle-là dont les tempes blondes sont rasées et dont les yeux sont pleins de merveilles. Mais le ciel coupe court à ma distraction. Il m’annonce enfin ce que je sais déjà : l’instant magique approche. Je suis au cœur de Bruxelles et mon cœur s’emballe. Il bat plus fort et plus vite dans le savoir du moment à venir. Je me prépare inconsciemment à recevoir cet évènement, le seul qui vaille la peine d’être vécu et dont personne ne parle jamais.
Ça y est. Les lumières s’allument et m’éblouissent un peu. Je tourne mes yeux sur les luminaires que l’on a fait multicolores le temps de quelques semaines. Je me gorge de ces nouveautés chaque fois renouvelées. Des rouges, des bleus et des jaunes qui explosent dans mes rétines et que mon regard explore. Un léger sourire ride mon visage. L’air béat, je suis perdu dans mon inutile contemplation. Je suis sûr que nos ancêtres faisaient la même chose que moi à la tombée de la nuit, dans l’attente des premières étoiles qui soudain éclaboussaient le ciel. Aujourd’hui que les écrans des télévisions et des ordinateurs sont les seules lueurs que nous daignons regarder, je préfère descendre dans la rue et me laisser séduire par les feux follets inoffensifs des réverbères.
Je laisse passer de nombreuses minutes ainsi, avant de me lever et de repartir à mon quotidien. Plus qu’une journée à attendre avant que ce miracle des temps modernes ne se produise.

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