Un réveil difficile

Et tandis que le jour se lève sur Téleïa, un homme se réveille au cœur d’une prison souterraine, où les rayons du soleil ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes lorsqu’ils parviennent jusque-là. Les couloirs suintent d’une humidité malsaine dans laquelle la faible lueur des torches ne se reflète pas, mais semble absorbée par une force étrange. De temps en temps, on entend la plainte lointaine de quelqu’un qui subit une torture particulièrement douloureuse. Pour l’heure, tout est calme. Les geôliers ont été se coucher, fatigués d’avoir tabassé des prisonniers durant toute la nuit. Ceux des prisonniers qui ont subi leurs assauts sont tombés inconscients et ceux qui ont eu la chance d’échapper à la cruauté des gardiens de ces lieux se réveillent avec l’angoisse d’être peut-être les prochains sur la liste. Ils se font les plus discrets possible, espérant ne pas attirer l’attention de qui que ce soit.

C’est au milieu de ce silence épais et mouillé qu’une voix s’élève, pour se heurter aussitôt au plafond trop bas de la prison.

— Y a quelqu’un ?

Cette question n’obtient pas d’autre réponse que son propre écho qui se réverbère sur les parois des couloirs sinueux de la grotte. Dans d’autres cellules, tout le monde est surpris par l’audace d’une telle demande. Tous espèrent que, si jamais il devait y avoir des conséquences (certainement négatives), celles-ci retomberaient sur leur voisin et que le Destin, déjà trop méchant avec chacun d’entre eux, les laisserait tranquilles pour une minute durant laquelle ils pourraient souffler un peu. Malheureusement, la voix continue d’appeler, inconsciente de ce qu’elle fait et des foudres qu’elle risque de déchainer. Un bourdonnement fait frémir les murs, desquels se détachent des morceaux de plâtre plus fragiles que d’autres. Un prisonnier un brin philosophe y voit une métaphore de la vie carcérale : lorsque tout tremble, les plus faibles sont les premiers à tomber. Après tout, même dans ce genre d’endroit, il n’est pas interdit de philosopher. D’ailleurs, l’allégorie de la caverne ne perd rien de son sel dans ce genre d’endroit. Les rêveries du vieil homme sont néanmoins interrompues par la voix qui est passée à un tout autre registre, presque aussi peu plaisant pour les oreilles que les beuglements des matons.

– Bordel de putes, mais vous allez finir par me répondre, oui ? Où est-ce que je suis ? Qu’est-ce que vous me voulez ? Y a quelqu’un, sa mère ?!

Le grondement s’intensifie encore. Cette fois, tout le monde peut sentir une nette vibration qui fait trembler les lieux. Une secousse plus forte que les autres fait même décoller la gamelle d’un prisonnier, renversant un peu de son contenu par terre. Le phénomène fait taire la voix, qui commence à se dire que ses actions pourraient peut-être mener à des réactions indésirées et que, dans le doute, mieux vaut la fermer. Sur un « Bon… » vexé, la voix se drape de silence. Le grondement cesse et les prisonniers qui respirent encore reprennent leur souffle.

Le prince, son propriétaire, puisque c’est de lui dont il s’agit, prend la décision de s’asseoir et de réfléchir, chose qui fait généralement plus de bien que de mal à ceux qui s’essaient à pareil exercice. Il croise ses longues jambes sur sa paillasse, cale son dos contre le mur et dégage une mèche de cheveux châtain et rebelle de devant ses yeux. Son regard aux éclats d’émeraude se pose sur divers endroits de sa cellule, mais ne s’accroche à rien en particulier. Il se penche sur ses habits et se rend compte que ceux-ci ont été déchirés en maints endroits. Les dorures de sa veste ainsi que de son pantalon ont été arrachées. Pris d’un doute, il cherche sa bourse mais ne la trouve pas. Les sous-fifres qui se sont chargés de lui ont décidé de s’offrir un pourboire aux frais de la princesse. Ou plutôt, aux frais du prince. Qu’importe. Jan est vivant et, pour l’instant, c’est la seule richesse dont il a besoin.

Seul dans le noir, il tente de rassembler ses souvenirs, afin de collecter des indices sur ses ravisseurs et sa présente situation. Dans un élan dramatique, il met la main à son front, comme pour essayer de mieux se concentrer. Après un moment, il se rend compte que ça n’aide à rien, ferme les yeux et fronde les sourcils. Il cherche encore et encore sans trouver le moindre souvenir qui pourrait l’aider à enclencher la machine. Finalement, il se rendort, malgré le bruit de l’eau qui goutte et les gémissements de certains prisonniers qui agonisent quelques cellules plus loin.

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