Acide

C’est le grondement lointain du tonnerre qui me tire de mon sommeil. Je me suis endormi mais j’aurais mieux fait de ne jamais me réveiller. Au moins, je serais mort sans souffrance. Maintenant, je sais que rien ne me sera épargné : ni ma propre fin, ni la perspective de celle-ci.
J’ouvre les yeux sur la fraicheur de la nuit et le silence qui y règne. Du haut de la dune géante où je suis, le désert se dévoile dans toute son immensité. Cette vision ne fait que me confirmer ce que je savais déjà : je suis perdu. Aucun abri aussi loin que porte le regard. Rien pour briser l’horizon. Juste cet erg de sable blanc. Et au dessus de ma tête, des nuages qui commencent à dévorer la Lune. La lumière s’éteint et je me retrouve dans une obscurité totale. Je ferme les yeux. J’attends la suite avec résignation. Inutile de fuir, la mort est déjà partout. Je l’entends qui tombe en bombes silencieuses.

La première goutte s’écrase loin de moi mais l’écho de sa chute me parvient très distinctement. Pourtant, dans le silence qui précède la chute de la deuxième, je rouvre les yeux. J’entends une autre musique, au loin. C’est le bruit d’un convoi lointain qui traverse le désert. Le vent souffle à l’Est et transporte ce chant inespéré.
Prenant appui sur mes mains, je me redresse et tente de me relever. J’entends la pluie tomber de plus en plus fort, de plus en plus près. Elle me rattrapera si je ne fais rien. Elle me tuera si je reste là où je suis.
Sans plus réfléchir, je comprends que ma seule chance est de courir et de fuir. Je remets sur mes yeux la paire de lunettes protectrices et démarre en trombe. Des gerbes de sable s’envolent sur mon passage. Je cours sans m’arrêter, dans la direction de mon salut. En haut de la dune, je repère plus clairement la direction à suivre. La caravane est encore loin. La première goutte m’atteint enfin. C’est maintenant une course contre la montre. La pluie commence à fondre sur moi. Je glisse en bas de mon promontoire, comme je peux.
À chaque impact sur mes vêtements, j’entends un léger grésillement : le tissu qui se dissout. Une goutte touche le dos de ma main. Ça fait comme une piqüre. La douleur passe en un instant. Une marque rouge et une chaleur diffuse témoignent encore de l’impact. Je continue malgré tout de courir.
J’atteins le sommet de la deuxième dune, puis de la troisième. J’entends à présent le bruit des roues sur le sable et le tonnerre des moteurs qui tirent péniblement les carapaces de métal et de céramique. Je commence à fatiguer. L’air corrosif attaque mes poumons. Pas le temps de se plaindre. Il faut aller plus vite ! Je dévale la pente de sable à toute vitesse, en roulant parfois sur moi-même lorsque je tombe. Toujours, je me relève et reprends ma course.
En haut de la quatrième dune, je me mets à tousser fort. Je crache du sang à terre et m’essuie la bouche du revers de la main. Je ne suis plus très loin. Derrière la prochaine dune, peut-être la suivante, je serai sauvé. J’essaie d’ignorer la douleur qui parcourt ma jambe droite, là où un trou laisse passer un filet d’eau. Je fais abstraction du bruit de ma peau qui crépite et de l’odeur de ma chair qui se consume.
Je cours moins vite et je peine à atteindre le sommet de la cinquième dune. Ma vue se trouble. Le monde est recouvert d’un voile d’eau opaque. Je n’entends plus le bruit du convoi. Il n’y a plus que le son incessant de la pluie sur le sable. Je tiens à peine debout. Il y a de nombreux trous dans ma cape. Mon dos est parcouru de frissons. L’intérieur de mon corps est en feu, l’extérieur est glacé. Je vacille, titube et chute jusqu’en bas de la dune. Le sable a un goût de fer. C’est ce que je me dis juste avant de perdre conscience.
Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi. Pas longtemps, sans doute, tout mon corps n’étant que souffrance. Tout ce que je sais, c’est que lorsque je rouvre les yeux, je vois des lumières, loin devant moi. J’ouvre la bouche pour hurler que je suis là, mais mon cri se perd dans un gargouilli de sang. Mon vêtement n’est plus qu’un suaire de dentelle. Ma chair mise à nu est mordue jusqu’à l’os. Mes jambes ne peuvent plus me porter. Je ne les sens plus. Je ferme les yeux, pour de bon cette fois.

Je sais que je peux me reposer, maintenant qu’il n’y a plus d’espoir. Il n’y a d’ailleurs plus rien d’autre que le silence qui précède la fin de toute chose.

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